Réflexions de confinés sur un monde à renverser – Partie III : ll n’y a pas de trêve dans la guerre des classes

Introduction

Première partie : Il n’y a pas de catastrophe naturelle

Deuxième partie : De la crise et de sa gestion

Troisième partie : Il n’y a pas de trêve dans la guerre de classe

Conclusion

Texte en entier (pdf) : Réflexions de confinés sur un monde à renverser, par ASAP révolution



 

Pas de trêve dans la guerre des classes

Le COVID a interrompu brutalement les mouvements sociaux qui traversaient le monde depuis plus d’un an. Si ces mouvements ont eu des déclencheurs distincts, la simultanéité des soulèvements prolétaires dans plusieurs pays peut sembler révélateur d’une lame de fond de contestation internationale du système capitaliste et sa gestion des différents territoires dans le processus de production. Des conflits créés par les contradictions même du capitalisme suscitent en permanence des luttes collectives et organisées contre les exploiteurs. Si le discours commun de dénonciation du fonctionnement des États et la revendication de plus de « démocratie », tend à nourrir fortement le réformisme comme proposition politique principale (le RIC en France, la Constituante au Chili, etc.). Ces mouvements ont néanmoins offert de vastes espaces à l’auto-organisation politique avec des pratiques radicales diffuses (pillages, autoréductions, défense physique des cortèges, etc.) qui apparaissent signifier une période au potentiel révolutionnaire.

Mutinerie dans une prison de Buenos Aires (Argentine) le 24 avril 2020, suite à l'annonce d'un cas de COVID-19 chez un maton.
Mutinerie dans une prison de Buenos Aires (Argentine) le 24 avril 2020, suite à l’annonce d’un cas de COVID-19 chez un maton.

Alors que les travailleurs du monde entier sont touchés par l’épidémie, ils sont contraints de penser des formes d’organisation et d’entraide nécessaires à leur survie tout en continuant de lutter contre l’exploitation qui s’accroît avec la crise. Cette contradiction permanente entre les moyens de notre propre survie et celle de la destruction du capitalisme n’est évidemment pas nouvelle mais le COVID par sa mortalité et la situation qu’il entraîne actuellement ont des conséquences sur la lutte des classes.

 

 

De la survie à la lutte

La solidarité est nécessaire à la survie, mais pour nous elle a besoin d’être organisée sur des bases de classe, connectée aux luttes qui émergent. Face à la gestion de la crise par les capitalistes entraînant isolement, appauvrissement et de nombreux morts, des groupes progressistes ou révolutionnaires dans différents pays ont réagi en se proposant d’organiser des maraudes, des distributions alimentaires, notamment à destination des plus pauvres et isolés. Nous ne devons pas nous satisfaire de cette proposition politique aussi sympathique soit-elle ! L’État et les bourgeois sont bien contents s’ils peuvent nous déléguer ce rôle de gestionnaires de la misère, pour eux, c’est tout bénef. Moins d’argent à investir pour maintenir un niveau de vie acceptable et en plus les révolutionnaires, pris par le travail sisyphien1 d’adoucir la misère générée par le capitalisme, ne sont plus occupés à diriger les coups vers ses responsables. Les exemples des squats vers lesquels les pouvoirs publics renvoient migrants et sans domiciles, sont légions. Cette dérive humanitaire est inévitable car pour la bourgeoisie c’est la seule manière acceptable de réduire les maux du capitalisme.

L’un des impacts les plus édifiants du confinement est la mise au chômage de millions de travailleurs. Ce qui entraîne une baisse immédiate du salaire global des prolétaires et à fortiori de nos conditions matérielles d’existence. Que notre travail soit légal ou non, qu’il soit protégé par un contrat ou pas, de nombreux travailleurs se retrouvent actuellement dans l’incapacité de taffer du fait du confinement. D’une part, une bonne partie des travailleurs, en particulier ceux de courte durée et clandestins, n’ont plus de salaires ou touchent seulement de maigres allocations de l’État. D’autre part, il n’y a pas de certitude que l’emploi qu’ils effectuaient avant existe encore au vu de la réorganisation du capitalisme qui s’annonce. Et s’ils retrouvent un travail après le confinement, la mise en concurrence avec tous les autres travailleurs risque d’être particulièrement violente, on peut s’attendre à une détérioration des conditions d’exploitation, toujours plus dégueulasses (hausse des cadences, plus grande flexibilité, baisse du salaire direct ou indirect, etc…). Plus largement c’est l’ensemble du prolétariat qui va voir ses garanties liées à l’emploi totalement chamboulées. Quand bien même actuellement certains ont encore la sécurité de leur emploi ou l’assurance de toucher une allocation chômage décente, la réalité est que nous allons nous retrouver dans des situations financières ingérables avec le risque de ne plus pouvoir payer nos charges (factures, crédits, loyer…). C’est donc la mise en péril de notre capacité à reproduire notre force de travail et en même temps de notre capacité à nous défendre au travail qui est en jeu actuellement.

 

 

Premières secousses

Cet appauvrissement généralisé des prolétaires pointe déjà le bout de son nez. Des réactions ont éclaté partout. Alors que l’objectif des bourgeois du monde entier est de maintenir leurs profits, l’inquiétude est montée d’un cran dans les rangs des travailleurs.

Mutinerie dans une prison de Buenos Aires (Argentine) le 24 avril 2020, suite à l’annonce d’un cas de COVID-19 chez un maton.

Les premières réactions massives ont eu lieu dans les prisons tout autour du monde, ces taules où une grande majorité de prols croupissent, souvent pour des crimes et des délits liés à leurs conditions de vie. Vols, deals, braquages, escroqueries sont les infractions qui remplissent en grande partie les prisons du monde entier de galériens cherchant à échapper à la misère ou au salariat par l’illégalité – sans fantasmer le monde des mafias et du crime organisé qui ne sont que l’envers du décor du salariat, sa version grossie et plus violente, qui se jette sur les populations les plus appauvries partout dans le monde. Les centres de rétentions, taules pour étrangers sans papiers, ont été particulièrement touchés, en France on peut par exemple citer des mouvements au Mesnil-Amelot, à Vincennes, à Oissel contraignant l’État à remettre en liberté de nombreux enfermés comme au CRA de Bordeaux qui a été entièrement vidé.2 Inquiétude d’une contamination rapide, taules surpeuplées, nouvelles privations et vexations imposées par les États (suspension des parloirs, des activités, notamment)… Pas étonnant que les révoltes se soient répandues comme une traînée de poudre de Téhéran à Caracas, de Rio à Vezin en passant par Rome.3

Dans de nombreuses régions connaissant de forts taux d’emplois informels, l’impossibilité de travailler et donc de générer des revenus a conduit à s’organiser pour se réapproprier collectivement de la bouffe directement à la source, supermarchés, magasins ou transports. Notre but n’est pas ici d’affirmer qu’une vague généralisée d’autoréductions s’organise au plan mondial, mais que des réappropriations ou tentatives de réappropriations prolétariennes ont pu être observées dans des endroits aussi divers qu’au Honduras, au Mozambique, au Mexique ou en Sicile. 4

Autre tendance du printemps chez les travailleurs du monde, un refus croissant de payer son loyer5 . De la Belgique aux USA, en passant par l’Italie ou la France, des campagnes pour organiser la grève des loyers apparaissent, répondant à la situation qui fait que de nombreux travailleurs subissent une perte brutale de revenu. Partout déjà face à la colère qui monte les gouvernants lâchent des miettes pour éviter que les prols prennent de telles mesures : distribution de bons alimentaires en Italie, de chèques de 1000$ par foyer aux USA, suspension des loyers du parc public de logements à Berlin, Barcelone ou Lisbonne, revenus pour les travailleurs non déclarés au Brésil6… L’objectif n’est de toute évidence pas de nous rendre la richesse que nous produisons chaque jour mais de nous garantir le minimum vital, défendre la propriété privée aujourd’hui et nous remettre au travail le plus vite possible. Dans les pays notamment en France où l’État assure encore quelques garanties sociales, le vernis met un peu plus longtemps à craquer, mais combien de temps encore alors que de nombreux travailleurs vont vite épuiser leurs maigres économies avec des revenus réduits à peau de chagrin ?

Avec les premières mesures de confinement et le nombre de morts qu’on voyait augmenter chaque jour aux infos, l’inquiétude et la colère sont montées dans les ateliers et les bureaux. Les travailleurs à qui on imposait peu à peu un confinement strict pour toutes les activités qui adoucissent habituellement notre quotidien – faire la teuf, (se) faire les magasins, aller au ciné, le match du samedi soir ou boire des bières dans un parc – se voyaient par contre obligés de continuer à aller se presser dans des usines ou des bureaux bondés, se serrer dans les transports matinaux pour produire les mêmes marchandises et services que d’habitude7, business as usual on vous dit.

 

 

Fièvre mondiale

Tout autour du monde, des travailleurs mettent en place des stratégies pour refuser le plan imposé par nos ennemis de classe. Continuer la production à tout prix au détriment de notre santé. On a pu voir des arrêts de travail, plus ou moins collectifs, prenant des formes différentes : droit de retrait, grèves, débrayages… Ces arrêts de travail adoptent trois grands types de revendications :
– l’aménagement du travail afin de pouvoir respecter les mesures dites de “distanciation sociale” et/ou la distribution de matériel de protection et d’hygiène pour continuer l’activité
– l’arrêt total de la production (ex : grève des métallos dans le nord de l’Italie)8
– des augmentations de salaire ou des primes liés au principe de “risque”.

Manifestation de travailleurs des usines du textiles à Dhaka (Bengladesh) le 15 avril 2020, pour le versement de leurs salaires.

Ces luttes qui surgissent selon des formes similaires autour du globe9 posent en acte quelques questions centrales pour l’organisation des prolétaires :

D’une part une faiblesse organisationnelle du prolétariat, face à une crise d’ampleur et à l’organisation des capitalistes pour y répondre, nous ne sommes pour le moment pas en mesure de poser un rapport de force nous permettant de prétendre à autre chose que le maintien de notre propre reproduction. En effet les revendications actuelles des travailleurs se comprennent comme une lutte pour notre survie, pour ne pas être contaminé ou au moins voir le risque et les efforts auxquels on consent compensés financièrement. En réclamant des primes, des masques de protection ou la fermeture momentanée de nos lieux de travail pour nous protéger nous et nos collègues, nous exprimons simplement une exigence de maintien de nos possibilités de reproduction. De la même manière qu’on fera grève pour demander une augmentation de salaire après des années à voir notre salaire réel diminuer à cause de l’inflation, on fait aujourd’hui grève pour garantir notre possibilité de retourner bosser demain.

D’autre part on voit apparaître de manière large chez les travailleurs une réflexion autour de la question de la production : Qui produit ? Qu’est ce qu’on produit ? Pourquoi ? Est-ce utile pour répondre à l’urgence sanitaire ? Si non pourquoi continue-on à la produire ? A travers ces questions, la situation que nous traversons, sème à l’échelle de la planète entière des petits cailloux sur les chemins de la conscience de classe. Parce que la question de la production est la question centrale qui structure la société, se rendre compte de notre capacité à penser et organiser la production de biens et de services est une étape importante pour reconstruire des perspectives révolutionnaires.

Pour certains, ce sera une première expérience de lutte, qui poussés par l’urgence de la situation adoptent des pratiques, de grève par exemple, qui avaient disparu dans de nombreuses entreprises. Le caractère mondial de la situation, à une époque où l’information circule aussi vite, permet de voir de manière très claire que les problématiques que nous posent notre condition de prolétaire sont mondiales. Voir des travailleurs refuser de travailler avec le risque d’être contaminés ou demander des garanties de protection face au virus donne forcément des idées, et s’ils le font à Bombay ou New York, pourquoi pas ici ? D’autant plus qu’on travaille parfois pour le même patron.

Partout déjà on peut voir les habituels gestionnaires de la colère sortir du bois et travailler main dans la main avec les patrons pour relancer la production10. Ainsi des négociations entre certains syndicats de PSA ont permis de commencer à organiser la relance de la production, pareil pour les métallos italiens que leurs syndicats ont poussé à retourner au travail avec à peine quelques garanties d’hygiène. Qui sait si demain on ne nous refera pas le coup du grand devoir prolétarien de relancer la production dans un pays sinistré ? Ce qui est sûr, c’est que les forces cogestionnaires sont à l’affût et vont sans doute travailler dur pour récupérer une partie de l’influence qui leur a été enlevée par l’État, en jouant la carotte de la responsabilité face à la crise et du bâton de la grève dans les quelques secteurs qu’ils contrôlent encore.

Face à une situation de crise et d’appauvrissement du prolétariat, de nombreuses luttes vont émerger. Comment intervenir dans les luttes de notre classe pour que les potentialités révolutionnaires se renforcent face à la gestion de l’État et l’encadrement syndical ? La question reste ouverte et il n’y a sans doute pas une seule bonne réponse, ce qui est sûr c’est que les prochains temps vont être déterminants.

 


1 En référence à Sisyphe, un roi de Corinthe dans la mythologie Grecque. Il fut condamné dans l’au delà à pousser chaque jour une pierre au sommet d’une montagne avant de la voir toujours retomber. Se dit d’un travail impossible et sans fin.

11 Nous contribuons avec des camarades à ce site international d’informations, de débats et d’échanges sur les luttes de classe sous covid. https://feverstruggle.net/fr