Nous étions environ 800 à s’être réunis pour l’appel régional “Tout le grand Ouest à Rennes” ce samedi 15 février dernier. Plus d’un an après le début du mouvement « Gilets Jaunes », on peut s’interroger sur la signification de ce genre d’évènement en plein milieu d’un mouvement social contre la réforme des retraites dont personne ne semble savoir dire réellement s’il serait plutôt sur le déclin ou tout simplement mort-né. Et ce, non pas en termes de nombre de personnes dans la rue, indéniablement supérieur à celui du mouvement des gilets jaunes, mais bien en termes d’efficacité et d’inventivité. Quels enseignements peut-on alors tirer d’une journée comme celle-ci, qui pour nous n’a rien ou peu en commun avec les dizaines d’appels intersyndicaux qui ont eu lieu depuis le 5 décembre ?
LA RUE NE SE NEGOCIE PAS, ELLE SE PREND
Une fois de plus, les GJ ont montré qu’il est possible d’organiser des appels de manière autonome c’est-à-dire en dehors du calendrier syndical. Nous refusons d’être encadrés dans la manifestation que ce soit par la mise en place de services d’ordres ou par les keufs dont nous ne voulons pas faciliter le travail en déposant des parcours de manifestation en préfecture. Les logiques de représentation face aux pouvoirs ne nous intéressent pas car nous, travailleurs en lutte, voulons nous organiser nous-même pour attaquer le capitalisme et pas pour négocier à la marge les conditions de notre exploitation. Le mouvement GJ, au-delà de son hétérogénéité et malgré la répression acharnée, a réussi à se donner les moyens de lutter contre l’état, le capital et ses sbires et a su s’accorder sur une acceptation des pratiques offensives par un débordement répété des formes classiques de la contestation pacifiée.
La force de ces cortèges, et notamment du samedi 15 février, est qu’ils réfléchissent à des moyens concrets de rendre effective la solidarité, même quand les capacités physiques de tout le monde ne permettent pas de suivre le niveau d’intensité. Et ça se traduit directement dans la rue par une solidarité et la non-dissociation en actes. Tous les gens qui sont présents sont solidaires des pratiques des uns et des autres. Les cortèges ne sont pas seulement “jeunes, déter et révolutionnaires” comme certains aiment à le crier dans les cortèges syndicaux, mais bien de tous les âges. Cependant, on ne peut pas juger du caractère révolutionnaire uniquement par des pratiques de rue offensives individuelles mais par la multiplication des pratiques réappropriables par l’ensemble de la manifestation.
Le refus de la dissociation, se protéger des charges de keufs ou protéger les camarades qui font des actions, sont l’essence même de ce qui permet de diffuser des pratiques révolutionnaires au travers des manifestations. Ainsi on voit bien que dès que des gens essaient de se changer pour éviter d’être reconnus, beaucoup de gens viennent se positionner autour pour les protéger des caméras et des regards. On a vu plusieurs situations où les gens refusaient de courir devant des charges, préférant se tenir et trottiner, ou bien encore, à la première occasion, avancer vers le dispositif pour tenter de récupérer les gens qui se faisaient matraquer ou que les flics tentaient d’arrêter. Ce sont des choses qui témoignent d’un refus collectif de laisser qui que ce soit aux mains des flics parce que ce sont nos ennemis un point c’est tout. On a vu plusieurs fois les palets de lacrymos être renvoyés sur les flics. C’est là encore bien grâce à une volonté de défendre la manifestation dans son ensemble que nous avons pu nous épargner de trop subir les gaz lacrymogènes. Cela additionné au fait qu’il y ait eu une diffusion de matériel de protection dans le cortège par une assemblée de lutte au tout début de la manif : foulards blancs et maalox dans des bouteilles d’eau. Tout ceci a contribué à ce que les gens restent groupés face aux attaques des keufs, toujours plus nombreuses lors de cette journée de mobilisation.
Cette journée nous confirme encore que c’est par ces pratiques partagées largement dans le cortège que nous arrivons ensemble à nous défendre face à la répression et ainsi à nous donner davantage les moyens de réaliser nos objectifs. Le fait de lever les mains ou se désigner comme pacifistes ne nous protège pas collectivement mais à contrario nous désigne comme des manifestants faciles à charger, nasser, pour mieux nous tenir éloignés de nos cibles.
NE RESTONS PAS ISOLES FACE A LA REPRESSION
Pour ce qui est de la répression judiciaire, il nous semble important de rappeler que ces manifestations entraînent régulièrement des arrestations et d’éventuels procès. Ainsi pour cette manif, sept personnes ont été arrêtées : cinq sont sorties après une vérification d’identité et les deux dernières avec une convocation ultérieure au tribunal.
Il est donc nécessaire de diffuser au sein des cortèges des pratiques pour se défendre collectivement face à la justice. Pour avoir le plus de billes face à la répression, il nous faut nous rappeler ensemble les pratiques utiles avant, pendant et après les manifs et actions. Préparer ses garanties de représentation*, discuter avec ses proches de quoi faire pour nous aider / soutenir si on est arrêté ou faire le ménage chez soi pour anticiper une perquisition. S’informer sur comment se défendre face à la justice (contrôle d’identité, GAV, tribunal, etc.) sur les sites des camarades des différents groupes de défense collective. Eviter de parler d’actions illégales au téléphone ou sur les réseaux (si déjà fait, effacer toutes les traces). Avoir de quoi se protéger des gazs, des flashballs ou autres tirs tendus (masques de plongée), et s’anonymiser dans la rue. Refaire du ménage si on s’en ait donné à coeur joie (vêtements, chaussures, matériel, etc.), rappelons-nous que des enquêtes peuvent mettre des mois avant de tomber sur notre gueule. En cas de problèmes, aller voir les camarades en AG pour les informer, chercher de l’aide et organiser ensemble la défense face à la justice !
N’oublions pas que le commissariat, le tribunal et la prison sont autant de lieux de conflits dans lesquels nous avons intérêt à nous défendre collectivement ! Le terrain d’action du mouvement social ne peut s’arrêter où commence la répression si on veut limiter au mieux ses effets d’isolement et de démobilisation. Par exemple en allant au tribunal après la manifestation, en faisant des rassemblements de soutien au camarade en garde-à-vue ou en taule, en faisant de la thune pour les frais de justice, en préparant ensemble les défenses pour les procès, en s’organisant pour soutenir les camarades en prisons (parloirs sauvages, lettres de soutien, mandats pour cantiner, etc.).
SAINTE ANNE OU RIEN ?
Pour ce qui est des objectifs lors de cette journée de mobilisation, il était clair que ce qui se jouait était la volonté d’accéder au centre historique, comme dans la majorité des manifestations rennaises depuis 2016 face à la stratégie de fermeture de l’accès du cœur de la ville par un lourd dispositif. Dès le départ donc, les manifestants ont commencé à fixer le dispositif policier au niveau de la place de la Mairie, puis dans les rues parallèles. La volonté des manifestants était clairement d’aller à l’affrontement avec les forces de l’ordre assez rapidement. Après une tentative de contre-charge sur les flics qui tentaient de faire refluer les manifestants au niveau de l’Hôtel Pasteur, le cortège a été repoussé et chargé plusieurs fois jusqu’à l’esplanade Charles de Gaulle, avant de réussir à s’extirper afin de remonter tout droit vers le centre-ville car le dispositif s’était reformé autour de la place… en oubliant une issue !
C’est néanmoins au prix d’un cortège très speed durant lequel au moins deux tiers des effectifs ont été perdus que les manifestants ont pu prendre les flics à revers au niveau de la rue Jean Jaurès, sous le Parlement, pour finalement réussir à investir le centre-ville. S’en est suivi une petite ballade d’une demi-heure dans le centre ville au cours de laquelle les manifestants ont pu exprimer leur joie en arrivant place Sainte Anne, dégommant au passage le commissariat et quelques banques. Cependant, ce rapide passage s’est fini par une dispersion accélérée de ce cortège entre Parlement et Hoche…
Pendant ce temps, le reste de la manifestation restait bloqué place de la République, le dispositif policier s’étant reformé pour mieux protéger l’accès au centre historique. Vers 18h, quelques manifestants ont tout de même pu se retrouver à St Anne pour un dernier baroud d’honneur.
En dehors de ça, peu (ou pas) de discours, tracts ou textes diffusant des positions ou objectifs politiques ont été portés au cours de cette manifestation. Peu de réflexion sur comment se retrouver, se coordonner après ou avant les manifs. Faire circuler des textes dans nos manifs, c’est le moyen de partager nos réflexions et propositions politiques quand on ne participe pas aux mêmes espaces d’orga. C’est aussi diffuser nos idées dans et en dehors de la manif par la diff ou l’affichage pour inviter plus de gens à rejoindre nos luttes ! C’est pourquoi, nous devons essayer de produire collectivement des textes pour les faire tourner en manif ou en action quand c’est possible.
Nous considérons que pour ce qui est par exemple des ennemis du mouvement local que sont les bars et les commerçants, ils sont encore trop souvent défendus comme étant des “petits commerces indépendants”. Sauf qu’à Rennes, n’oublions pas que la majeure partie de ces commerces indépendants font partie de l’association de commerçants le “Carré Rennais” : en bon capitalistes, ils savent s’organiser collectivement pour lutter contre nous et défendre leurs intérêts communs. Dans un seul objectif : faire du biff et préserver le calme du centre-ville les samedis après-midis. N’oublions pas non plus toutes les interventions publiques qu’ils ont pu faire pour demander ouvertement aux pouvoirs publics et aux flics de réprimer plus durement le mouvement pour qu’il cesse. La majorité de ces commerces sont de plus entre les mains d’une poignée de discrets propriétaires.
Il est important qu’on s’organise pour être nombreux et qu’on puisse définir ensemble quels sont les intérêts à attaquer en priorité quand on sort dans la rue pour manifester, plutôt que de chercher un face à face contre la police qui arrivera de toute façon puisque la police défendra toujours les intérêts de nos ennemis. Trouvons des cibles qui donnent du sens à notre besoin de révolution.
* Justificatifs censés prouver qu’on se représentera à une date ultérieure de procès en cas de refus de comparaître en comparution immédiate (n’acceptez-jamais, c’est de la fast & furious justice, toujours prendre le temps de préparer sa défense) ou de présentation au Juge des Libertés et de la Détention. Ces documents doivent prouver que les personnes sont liées au territoire local et qu’elles ne disparaîtront donc pas en cours de route : papiers d’identité / justificatif de domicile / contrat de travail, de stage, de formation, promesse d’embauche, carte étudiante, attestation d’allocations chômage, de ressources RSA, etc.
Nous ne sommes pas tous égaux en garanties de représentation. Il est important d’être solidaires en aidant au maximum tous les camarades à pouvoir en présenter (attestation d’hébergement gratuit, etc.) et en refusant d’insister plus que nécessaire sur son profil social quand on a une “bonne” situation car c’est faire le jeu de la justice qui aime nous trier (exemple : “étudiant bon élève qui a fait une erreur” VS “marginal potentiellement récidiviste”). En cas de problèmes, n’hésitez pas à venir voir les camarades dans les AG du mouvement pour qu’ils vous filent un coup de main !