Commerçants, le ras-le-bol des gilets jaunes !

On s’en souvient, la première grosse manifestation des gilets jaunes à Rennes a eu lieu pendant que se déroulaient au Couvent des jacobins les « Assises de la citoyenneté » organisées par Ouest France. L’occasion de promouvoir le « vivre ensemble » tant désiré par la Métropole et les commerçants du centre ville, qui devrait permettre à tout le monde de venir consommer paisiblement dans un centre historique sanctuarisé et transformé en dortoir 5 étoiles pour cadres dynamiques. Si le mouvement semblait alors très conscient de ne pas avoir sa place dans cette conception du « vivre ensemble », la place qu’occupe l’association des commerçants de Rennes, le Carré Rennais, dans la dynamique de sanctuarisation commerciale qui opère depuis plusieurs années est souvent passée sous silence, et réapparaît à chaque fois qu’un mouvement social ressurgit. Ainsi l’épopée des petits commerçants en lutte pour préserver l’ordre établi, ou la « tranquillité du centre ville », est devenue un marronnier lors de chaque mouvement social. Les nombreuses sorties récentes de son président Charles Compagnon (propriétaire du restaurant le Carré) dans les médias, invoquant le ministre de l’intérieur à « rétablir l’ordre » dans un contexte de vaste répression (1800 condamnations) nous ont conduit à nous intéresser à cette « association loi 1901 ».

« Petits commerçants », gros intérêts

Le Carré Rennais, c’est une association qui réunit 330 commerces, répartis en 200 magasins et 130 commerçants itinérants. En plus du président Charles Compagnon, on note dans les 5 postes importants du conseil d’administration 2 propriétaires de boutiques de luxe (Optique Laurence Taillandier ­ qui s’est fait cambrioler ses paires de lunettes à hauteur de 2000 euros récemment ­, et l’Atelier Joaillerie), une agence immobilière importante (Arthur Loyd, 1 er réseau français de conseil en immobilier) et le café des Jacobins (nouveau bistrot branché à côté du Couvent). Dans les 330 commerces, on retrouve notamment les centres commerciaux et galeries du centre ville, les agences bancaires, immobilières et de voyage, quasiment toutes les boutiques de luxe (joaillerie, vêtement, chaussures), franchises de fringues et de grande distrib et une bonne partie des bars, librairies et restaurants. À partir de ça, le Carré Rennais agit donc « pour renforcer leur attractivité », en jouant « un rôle d’interface entre les commerçants et les instances officielles ». Ils organisent des événements (grande braderie) et promeuvent « l’accessibilité en centre ville ». Par exemple ils ont des titres de transport et de parking gratuits à filer à leurs clients le samedi et une garderie pour leur permettre de faire les courses peinards. Ils organisent aussi des concours de vitrines au mois de décembre. On voit donc se dessiner des intérêts beaucoup plus larges. Comme à chaque fois que les bourges se réunissent entre eux, ça donne jamais rien de bon pour les prols, pas même leur putain de charité pour redorer leur image.

Les petits commerçants c’est une grosse douille. Sous couvert d’artisanat créatif et de « petite » structure, ils sont en fait les vitrines d’un capitalisme local et bien sûr font tout pour le défendre. Derrière ces derniers se cachent des petits patrons et parfois même des « gros » quand ceux-ci possèdent une armada de boutiques et de restaurants qui n’en restent pas moins des exploiteurs de première catégorie. A coups d’emplois précaires, les bourgeois du centre-ville s’enrichissent sur le dos d’un prolétariat qui se trouve, pour l’heure, sans grande capacités d’organisation. Eclatement de la masse salariale dans de petites structures, parfois organisées de manière faussement horizontale, il en devient parfois impossible de distinguer l’employé en bas de l’échelle, du manager ou du patron dans les boutiques.

Tout doit disparaître

Là où on voit la puissance de ces organisations de centre ville, c’est lors des mouvements sociaux. C’est-à-dire quand ils se sentent menacés. À Rennes, après 3 samedis de mobilisation d’une intensité plutôt relative par rapport à certaines villes de France, ils se retrouvent au ministère 2 fois et arrivent à débloquer un fonds de 3 millions d’euros de compensation. Leur capacité à s’organiser politiquement crève les yeux, tant ces derniers font pression sur les institutions pour casser le mouvement social. Dans les médias, les appels à la répression sont monnaie courante. Tout comme le déploiement policier qui protège les commerces et interdit aux cortèges de rentrer dans le centre-ville. Depuis 2016, rentrer dans le centre historique s’est imposé comme l’un des objectifs des manifestations rennaises, afin de ne pas les laisser dicter leurs lois. La prise de la maison du peuple à Sainte Anne en mai 2016, ainsi que plusieurs manifs gilet jaune cette année sont autant de victoires arrachées par la détermination collective!

A travers des discours misérabilistes dans les médias, ces derniers tentent de  retourner la colère sociale qui s’exprime dans la rue, en faisant croire que c’est eux « qui en ont ras-le-bol ». Mais qui voudrait s’attendrir devant leurs jérémiades? On sait très bien ce qui fait tourner leur business, c’est notre exploitation ; avec des salaires de merde, des conditions de travail déplorables, pour vendre des petits objets, des ptits plats, des ptits services, des ptites assurances, des ptits bijoux, derrière leurs ptites vitrines de petits commerces. De mouvement en mouvement, leurs tentatives d’intimidations à deux balles nous lassent. La dernière en date, s’autoproclamer justiciers en herbe pour pallier aux failles de la police : « si les autorités n’y arrivent pas, on va s’en occuper nous-même ». Dans un contexte de forte répression du mouvement, les différents appels passent chaque fois pour plus indécents et provocateurs de la part de petits commerçants qui semblent près à tout pour défendre leurs intérêts.

La structuration des commerçants dans toutes les villes, comme ici le Carré Rennais, est un des outils de la bourgeoisie qui, coordonné avec ceux mis en œuvre par l’État tentent d’attaquer le mouvement social. Nos intérêts de classe sont évidemment incompatibles, il est nécessaire de continuer à maintenir la pression sur le poumon économique de la ville qu’est le centre historique. La récupération politique bat son plein, et les futurs candidats aux municipales surenchérissent pour demander des peines exemplaires contre le mouvement.

La réaction du Carré Rennais montre que faire une manif en centre-ville, c’est prendre la rue, comme toujours, mais c’est aussi bloquer efficacement et directement une des expressions du capitalisme. Du début à la fin de la chaîne de montage, à la périphérie comme au centre, continuons à nous organiser contre ceux qui se font de la maille sur notre dos, attaquons les points névralgiques de l’économie pour la briser. Pas de quartier pour les bourgeois !