Avec le mouvement des « gilets jaunes », comme avec tous les mouvements sociaux, ressurgit dans le discours politique et médiatique (qui se confondent toujours plus) le spectre des « casseurs ».
Dès le 17 novembre et la première manif parisienne, les affrontements avec la police et les attaques contre des commerces et des administrations semblent se généraliser lors des différents « actes ». La diffusion de ces pratiques à l’ensemble du territoire, leur répétition et le soutien assez massif dont elles bénéficient n’a pas empêché les politiques et médias de mettre en route le logiciel habituel : dénoncer des violences « en marge », l’infiltration de « casseurs voulant seulement en découdre », « des débordements inacceptables qui nuisent à une colère compréhensible » et bla et bla et bla…
Le but est évident et le même qu’à chaque mobilisation, créer la division entre les manifestants, pour semer la zizanie en interne et justifier la répression féroce contre l’ensemble du mouvement en essayant d’en enfermer une partie dans la figure du « casseur» .
Les « casseurs »
La figure du casseur est une constante du discours politique et médiatique depuis les années 70. Elle permet de discréditer le discours politique de ceux qui choisissent de lutter parfois au-delà de la légalité. Sa première apparition peut être datée à la loi dite anticasseur de 1970 sous pompidou promulguée pour lutter contre le bouillonant mouvement révolutionnaire des années post-68. On peu la rapprocher de la figure du hooligan utilisée depuis les années 80 pour discréditer ceux qui vivent leur passion de manière un peu trop turbulente.
Et quand ça ne prend plus on essaie d’intimider les manifestants comme Castaner qui affirmait le 11 janvier en direct sur facebook : « ceux qui viennent manifester dans des villes où il y a de la casse qui est annoncée savent qu’ils seront complices de ces manifestations-là » au mépris de toute catégrorie juridique !
Apparemment la féroce répression policière (des centaines de blessés, au moins 10 yeux crevés à coup de LBD 40) et judiciaire (+20 % des comparutions immédiates, des peines de prison ferme à la pelle, des contrôles judiciaires de bâtards) ne suffit plus. Le gouvernement dans sa fuite en avant sécuritaire annonce une loi anticasseurs et propose de récupérer un projet de lois des républicains, votée au sénat à l’automne dernier à la suite du mouvement étudiant du premier semestre 2018.
Plusieurs mesures annoncées dans ce projet, adopté aujourd’hui en commission des lois de l’assemblée nationale :
La création d’un« délit de dissimulation volontaire du visage dans les manifestations » qui était auparavant une contravention de seconde classe (150€ d’amende) devient passible d’une peine de 15 000€ d’amende max et d’un an d’emprisonnement, manière facile de racketter des thunes aux prols qui luttent. Et en plus, les députés ont accepté un amendement proposant pour ce nouveau délit d’inverser la charge de la preuve, en clair ça n’est plus à l’accusation d’amener la preuve que le mis en cause était masqué pour commettre des troubles mais bien à ce dernier de démontrer qu’il avait une raison tout autre, un « motif légitime » de se masquer (swag, froid, pollution…).
Deuxième mesure : la mise en place d’interdiction administrative de manifester sur le modèles des interdictions administratives de stades. En l’état le texte prévoit la possibilité pour les préfets :
« Lorsque, par ses agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique ayant donnés lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi que des dommages importants aux biens ou par la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations, une personne constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté motivé, lui interdire de participer à une manifestation sur la voie publique ayant fait l’objet d’une déclaration ou dont il a connaissance. »
Lors de son premier passage à l’assemblée le texte a même été enrichi de la possibilité pour les préfets d’interdire de manif un individu pour un mois sur l’ensemble du territoire national et ainsi empêcher d’aller manifester avec les camarades dans les autres villes !
En somme des critères bien vagues laissés à l’interprétation des préfets et basés sur les allégations des services de renseignements de police. On observe un élargissement du pouvoir donné aux préfets pour interdire de manif à peu près n’importe qui participant de près ou de loin aux mouvements sociaux ! Cette mesure sera appuyée par la création d’un fichier national des casseurs qui sera à priori intégré au sein du fichier national des personnes recherchées. Le flou volontaire laissé sur ces questions permet d’imaginer une répression importante à venir contre les mouvements sociaux basée sur une réduction générale des garanties de liberté individuelles, notamment depuis la promulgation de l’état d’urgence en 2015.
Le discours gouvernemental qui assume de trouver l’inspiration dans la politique de lutte contre le « hooliganisme » n’est pas anodine. Les mesures répressives créées pour lutter contre « la violence dans les stades » sont aujourd’hui principalement utilisées contre le supporterisme organisé. En cela l’État français est dans la tendance européenne, on teste des mesures sécuritaires dans les stades, contre des mouvements montrés du doigt comme marginaux et violents (les mouvement ultras et hooligan assimilés dans le discours publique [voir encart à la fin]), puis on les adapte pour la répression sociale plus générale contre les prols et les mouvements sociaux !
Dernier exemple en date la promulgation en Italie par le dernier gouvernement de centre-gauche, et enrichi par le gouvernement d’extrême-droite en place, du DASPO Urbano. Cette mesure permet d’interdire des individus de paraître dans un certain périmètre (pour une manifestation par exemple), sur le modèle du DASPO acronyme de « Interdiction d’accéder aux manifestations sportives » mis en place depuis 1998 au nom de la sacro sainte lutte contre la violence dans les stades. En France on assiste depuis quelques années à un fort durcissement de la répression contre les supporters que ce soit des mesures individuelles (interdiction administratives ou judiciaires de stade) ou collectives (multiplications des interdictions de déplacement prise par les préfets pour des raisons chaque fois plus obscures).
L’inspiration des mesures antisupporter (car c’est bien de ça dont il s’agit créer un foot calme, aseptisé, facilement vendable à l’export et en adéquation avec l’augmentation général du prix des places et des droits tv) est claire quand on lit l’article L332-16 du code du sport qui encadre les interdictions administratives de stade.
Les interdictions administratives de stade, cancer du foot
l’article L332-16 du code du sport dispose
« Lorsque, par son comportement d’ensemble à l’occasion de manifestations sportives, par la commission d’un acte grave à l’occasion de l’une de ces manifestations, du fait de son appartenance à une association ou un groupement de fait ayant fait l’objet d’une dissolution en application de l’article L. 332-18 ou du fait de sa participation aux activités qu’une association ayant fait l’objet d’une suspension d’activité s’est vue interdire en application du même article, une personne constitue une menace pour l’ordre public, le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, prononcer à son encontre une mesure d’interdiction de pénétrer ou de se rendre aux abords des enceintes où de telles manifestations se déroulent ou sont retransmises en public. »
Des critères flous et larges qui permettent aux préfets d’interdire de stade pour tout et n’importe quoi, on fait notamment la chasse a l’usage de pyrotechnie et aux supporters contestataires, ainsi l’association nationale des supporters, qui regroupe des groupes de supporters de nombreux clubs, relate : « Un exemple d’utilisation abusive des interdictions administratives de stade est très connu dans le milieu des supporters: en 2014, près de 250 supporters du Paris Saint Germain ont été interdits administrativement de stade pour avoir participé à un sit -in pacifique, au cours duquel ils ont entonné des slogans contestant la direction du club.
En 2016, plusieurs dizaines l’ont été sur le même fondement. Ces IAS ont naturellement été annulées par le juge administratif, mais des années plus tard »
De même dans l’article 2 de la proposition de loi on peut lire:« Le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut imposer, par l’arrêté mentionné au premier alinéa du présent article, à la personne concernée par cette mesure de répondre, au moment de la manifestation, aux convocations de toute autorité ou de toute personne qualifiée qu’il désigne. Cette obligation doit être proportionnée au comportement de la personne », en bref obligation d’aller pointer au comico pendant la manif. Cet mesure est un copié collé de l’alinéa 3 de l’Article L332-16 du code du sport. Selon l’ANS la moitié des IAS sont doublé d’une obligation de pointage, c’est donc sur simple décision du préfet des personnes qui sont contraintes de pointer jusqu’a 50 fois par an, parfois sans pouvoir trouver d’arrangements pour aller bosser ou en vacances.
Dans les deux cas c’est le même processus préventif qui entre en jeu, une interdiction de manif comme de stade c’est une décision qui est délivré par une autorité administrative et qui t’interdit de circuler sur un territoire donné sans aucune forme de procès.
Les représentants de l’état se voient confier la possibilités de prendre des mesures impactant violemment les libertés individuelles sans possibilité de se défendre (contrairement au tribunal). Au delà d’une attaque contre les possibilités de se défendre xe sont aussi des mesure préventive dont le pouvoir espère sans doute qu’elle permettra de désengorger les tribunaux saturés par la répression !
Les responsables diront qu’on peut faire un recours au tribunal administratif mais on sait très bien que ces recours mettent du temps a aboutir. C’est bien de mesure parajudiciaire enlevant à l’accusée ses possibilité de défense dont il s’agit et c’est en cela qu’elles doivent être combattue. On ajoutera que les garanties de libertés individuelles ne peuvent être défendu séparément. Les supporters tirent la sonnette d’alarme depuis des années sans être écoutés et depuis l’annonce du projet de lois anticasseurs la gauche propre sur elle défile sur les plateau tv, non pas pour remettre en cause les attaques sur les libertés, mais pour dire qu’on ne pouvait décidémment pas comparer les manifestants a de vulgaires supporters de foot. Des stades de foot aux entreprises ou à la rue ce sont les même processus qui sont en cours. Nous vivons une évolution autoritaire du capitalisme libéral, au service du profit et de la paix social.
Rappelons qu’en 2015 et 2016 de nombreux participants aux mouvements sociaux avait été visés par des interdictions de manifs basés sur un détournement de la l’etat d’urgence permettant d’interdire à un individu de paraître dans un périmètre. Demain la possibilité d’interdiction de manif sera écrite dans la loi, nous ne demandons pas d’application juste de la legislation mais qui sait comment cette mesure pourra être détournée ? Il s’agit maintenant si nous voulons pouvoir continuer à lutter pour nos idées, nos conditions d’existence ou pour nos équipe de défendre nos garanties et de combattre ces mesures. Refus collectif de se soumettre aux interdictions, diffusion du masquage pour lutter contre la penalisation du fait de se masquer et contre l’identification… Ne cédons pas à la peur que veut installer la répression, affirmons notre solidarité contre la justice qui nous frappe, qu’elle soit pénale ou administrative !
Brève histoire du supporterisme organisé :
Le supporterisme organisé commence à apparaître en europe à partir des années 60 mais commence à réellement se dévelloper en italie dans les années 70. Pour reposer très brièvement quelques base face à toute les conneries que nous sortent médias et pouvoir publique.
– mouvement ultra nait en italie dans les année 70, il vise à organiser les tribunes populaires pour soutenir son équipe à travers des chants commandés par des capos, chorégraphies (appelées tifos), drapeaux, pyrotechnie etc. La violence n’est pas rejetée et elle peut souvent s’exprimer contre les ultras d’équipe rivales ou la police mais elle n’est pas centrale. C’est aujourd’hui le type de supportérisme organisée principal en europe, seul les iles britanniques on une organisation plus basé sur des chants spontannés, sans vraiment de groupes organisés ni de matériel en tribune.
-Le hooliganisme : nait du football anglais en structurant des petits groupes qui viennent au stade pour en découdre avec les fans adverses, il se répand dans toute l’europe mais en tant que mouvement il est surtout aujourd’hui massif dans les pays de l’ex bloc soviétique et les balkans.
La violence est ici centrale et on cherche l’affrontement soit aux abords du stade soit avec des arranged fights organisés en périphérie.
Le supportérisme regroupe tout un tas de pratique et la violence en fait parfois partie et il ne s’agit ni de la rejeter comme extérieure ni de la fétichiser. Qu’ils soient lambdas ou organisés dans un groupe ultras ou une firm de hools ce sont les fans qui font du foot ce qu’il est, le prétexte de la violence est souvent utilisé pour porter l’attaque contre l’essence populaire du football, l’Angleterre en est le meilleures exemple puisque la stratégie adopté pour lutter contre le hooliganisme a été tout bonnement l’augmentation du prix des places à des niveaux qui rendent impossible pour de nombreux prols de suivre leur équipe.