L’État se radicalise, le mouvement dans l’impasse

Retour à froid sur le mouvement contre la réforme des retraites 2023 à Rennes

Réforme libérale versus front syndical : l’épisode de lutte du printemps 2023 donne un air de déjà-vu. Il suit les autres mouvements syndicaux qui ont eu lieu en France depuis les années 70 et n’échappe pas à ce schéma classique. Les contestations se sont cantonnées à une défense des acquis sociaux, donc une réforme vers le moins pire du capitalisme. Une stratégie de lutte qui a atteint ses limites et ne fait rien gagner depuis une dizaine d’années. La réforme des retraites est un enième épisode dans la série d’attaque de nos conditions matérielles, en France et partout dans le monde. Dans l’ambiance nauséabonde d’économie de guerre et de crise auxquelle on fait face, la bourgeoisie multiplie les offensives pour nous maintenir au travail en diminuant les salaires.

Et pourtant, plein de prols se mettent en lutte. Deux millions de travailleurs étaient en grève au tout début de la de mobilisation, pour la première fois pour certains. Blocages, assemblées générales, cortèges collosaux se succèdent, d’où de nombreuses initiatives émergent. Un mouvement qui bouleverse pour un temps toute une partie de la population mais qui faute de détermination et de stratégie offensive ne restera qu’un coup d’essai pour mettre l’économie à l’arrêt. De ce type de mouvement, il est donc difficile de savoir ce que la classe y gagne. Quand à ceux qui organisent la défaite, ce ne sont tout au plus que quelques votes récoltés et des bureaucrates recrutés.

Le gouvernement acte qu’il n’a pas besoin de négocier avec les partenaires sociaux ou de débatre avec son opposition, qu’il avancera peu importe le degré de conflictualité qu’avancent les syndicats. Pour sauver son économie et conserver sa position dans le jeu capitaliste mondial, la réponse est brutale. C’est tout son arsenal répressif qui est déployé, au travail comme dans la rue. Alors qu’il pouvait encore jusqu’à récemment lâcher quelques miettes, l’État ne donne désormais plus rien.

Nous pensons qu’il est nécessaire pour parler des perspectives pour notre classe de partir de nos conditions de vie. Alors pour nous, ces mouvements sont l’occasion de prendre part aux turbulences, partout où les prolétaires s’organisent, que ce soit sur les lieux de travail ou dans la rue. Chaque épisode de la lutte des classes fait écho aux précédents : les prols en lutte apprennent de leurs erreurs, de leurs échecs mais savent aussi faire preuve d’ingéniosité face aux limites qui nous traversent.

C’est pourquoi nous avons participé à ce mouvement, essayé certaines choses, proposé d’autres, nous y avons aussi rencontré des camarades. Il nous semblait alors important d’en proposer un bilan.

CHRONOLOGIE

Si l’on revient sur le déroulé du mouvement, on y voit plusieurs moments – au moins trois importants.

La première phase du mouvement va du 19 janvier au 7 mars. Sur cette période les manifs sont aussi massives qu’ennuyeuses, des journées de grève et manifestations monstres sont organisées tous les 10 jours à l’appel d’un front syndical uni, relayées par tous les médias et soutenues par l’opinion publique. Dans la rue c’est le grand retour de l’intersyndicale comme force d’encadrement d’un pré-mouvement de travailleurs, pourtant assez large. Les tentatives de structuration par-delà les secteurs et au-delà du cadre de la manif sont poussives sinon inexistantes. Le gouvernement demande dès le début le démantèlement des blocages.

À partir du 7 mars, deuxième phase du mouvement, c’est le début des blocages routiers avec pour objectif de paralyser le pays. Le soir ou en journée des milliers de gens par
ticipent à des manifestations sauvages. Les syndicats appellent à «la France à l’arrêt» et à la grève générale. Diverses actions sont menées dans les secteurs de l’énergie par des travailleurs syndiqués ou non : parmi elles des électriciens coupent le courant à des élus ou aux institutions et donnent la gratuité de l’électricité à des gens qui ne peuvent plus payer. De nombreux lycées sont également bloquées, des collèges parfois. Clairement le mouvement s’intensifie, on y voit maintenant des débordements en marge des cortèges de jour dont la composante non-syndicale s’agrandit, auquels s’ajoutent des appels à occuper des lieux pour en faire des espaces d’organisation du mouvement.

Le 16 mars le gouvernement a recours au 49.3. La nuit qui suit en réaction au « déni de démocratie » des centaines de personnes descendent dans les rues, brûlent des poubelles et attaquent des commerces et quelques mairies. Pendant 10 jours le mouvement continue de se radicaliser et s’étendre, les tentatives de continuer à pousser la lutte et la grève en dehors du cadre syndical également. Il y a une augmentation d’attaques des lieux de pouvoir. Dans certaines villes des manifs spontanées et blocages offensifs sont appelées tous les jours.

Le 23 mars semble être le point culminant du mouvement, avec de très nombreux blocages (routes, voies ferrées, aéroports, écoles, etc.). L’après-midi est ponctuée de grandes manifestations à l’appel des syndicats et de manifestations sauvages pour maintenir l’élan en fin de journée. Le dépassement du cortège syndical ce produit essentiellement dans les grandes villes.

Le 25 mars parallèlement au mouvement, un affrontement a lieu à Sainte Soline lors d’une manifestation écologique liée à l’appropriation de l’eau. De nombreux manifestants du mouvement des retraites y participent. Une véritable boucherie (militaire) où l’Etat déploie un énorme arsenal répressif sur un terrain d’entraînement militaire. Deux personnes sont dans le coma, de nombreuses personnes gravement blessées. La dissociation de la gauche écolo s’étale sur les plateaux télévisés et réseaux sociaux (la gauche écologiste se dissocie de toute forme d’offensivité émanant des manifestants).

A partir de début avril, on voit une troisième phase du mouvement. C’est la fin de la grève reconductible des éboueurs qui avait lieu dans 8 villes, véritable fer de lance du mouvement qui fait écho partout en France. Les travailleurs dans les raffineries sont réquisitionnés, laissés à la merci des patrons et des flics par les syndicats. Phase descendante du mouvement jusqu’à la manif du 6 juin.

Après le mouvement des retraites, le 27 juin, un jeune homme appelé Nahel est tué à Nanterre par la police. Des émeutes éclatent immédiatement en banlieue parisienne puis dans le reste de la France. Beaucoup de pillages et d’attaques contre les lieux de pouvoir. La répression de l’État est immédiate et vénère : plusieurs morts, blessés graves et des milliers d’arrêtés parfois des mois après et plus de 1200 peines de prison ferme.

I. GREVE ET BLOCAGE

  1. Une grève molle…

Dès le début de ce mouvement le nombre de grévistes semble exploser en France. Mais malgré une forte mobilisation les appels à la grève durent souvent une seule journée, espacés parfois de quelques semaines, avec des participations aux manifs sur la pause du midi. On fait grève pour se compter, faire nombre dans les statistiques. On va manifester comme si on allait voter, en exerçant son droit au mécontentement. Déléguant comme à l’habitude notre pouvoir politique aux élus de la République, participant dès lors au jeu démocratique de nos ennemis.

De nombreux salariés du privé ont fait grève pour la première fois et sont allés en manif avec leurs collègues ou leurs potes, et ce même jusque dans de petites entreprises. Quelques travailleurs de secteurs dits «stratégiques» ont pu reconduire la grève, sans pour autant que cela mène à une grève générale. Ces derniers sont bridés par leurs directions syndicales qui – entre autre – vont les lâcher lors des réquisitions de grèvistes par l’Etat.

Ces grèves n’ont pas grand chose à voir avec ce qu’elles ont pu être dans l’histoire de la lutte des classes, en termes de contenu et de possibilités. Peu de rapport de force dans les boîtes, faible volonté de faire du lien avec les autres entreprises, pas de blocage effectif de la production et pas d’inscription de la lutte dans la durée ni dans l’intensité. Les patrons demandaient à l’avance qui faisait grève pour pouvoir organiser le taf en conséquence en minimisant les répercutions sur la production. Comme ce fut le cas avec certaines entreprises qui font appel à la main d’oeuvre intérimaire pour remplacer leurs salariés en grève ou avec les chauffeurs de bus à qui l’on a demandé d’une semaine à l’autre s’ils seraient bien présents.

Faire grève est difficile pour beaucoup d’entre nous car le travail est de plus en plus éclaté, les contrats divisent les salariés entre les CDD, missions d’intérim, CDI. On se retrouve à changer de boulot ou d’employeurs régulièrement, et en plus tout est agencé de manière à ce qu’on se croise le moins possible entre collègues. De ces expériences là de grève on ne tire pas grand chose, si ce n’est d’avoir été extrêmement nombreux et d’avoir perdu de la thune sans maîtriser grand chose de ce qu’il se passait et sans bloquer la production avec les collègues.

Il n’y a eu quasiment aucune assemblée dans les boîtes et toutes les assemblées en dehors des lieux ou secteurs de taf auxquels on pouvait participer, à Rennes, ne parlaient pas du tout de la lutte contre le travail. Pour donner un exemple concret, même organiser une caisse de grève entre travailleurs reste une bataille à mener à chaque fois. Pendant que celles grassement remplies des syndicats – «les caisses sont pleines» disent-ils – ne sont pas redistribuées…

  1. … mais qui dure

A Rennes, les seuls piquets de grève qui ont tenu dans le temps sont les dépôts de camions bennes de SUEZ à Chartres de Bretagne et à Pacé en périphérie de la ville. Les travailleurs sur place ne réussissant pas à se mettre en grève, des délégués syndicaux ont entrepris de bloquer les deux sites et ont plié bagage au bout d’une semaine, estimant avoir fait leur boulot. La grève n’ayant pas réellement pris, des syndiqués de base, des grévistes d’autres entreprises, des étudiants et des chômeurs ont pris le relai. Pendant trois semaines, tous les camions présents sur les sites étaient bloqués. Les salariés étaient payés mais ne pouvaient pas participer au blocage sous peine d’être comptés comme grévistes, donc de perdre une partie de leur salaire, ou d’être licenciés pour les intérimaires. Il aurait été possible pour eux de rejoindre des piquets de grève d’autres boites tout en étant payés, si seulement ils avaient existé.

Les blocages ont tenu dans le temps mais ne se sont pas étendus au reste de la ville ou d’autres secteurs. Nous avons manqué de nous rendre visibles pour être davantage rejoignables, comme les Gilets Jaunes ont pu le faire sur les rond-points. Nous étions cachés dans des zones industrielles isolées, presque à craindre que l’on nous entende. Pourtant ces dépots de camions bennes se situent aux croisements de flux de marchandises et de travailleurs qui constituent des artères énormes pour la ville et ses alentours. Dans les deux zones, on trouve l’usine automobile PSA, un dépôt de bus, des centres logistiques, un aéroport, un centre de rétention administratif et un centre commercial. Les occasions ne manquaient pas pour que l’on puisse stopper la production et attaquer ces zones de misère. La ville pendant ces deux semaines s’est tout de même remplie lentement mais sûrement de tas de poubelles, rendant visible la grève. Des montagnes noires et gluantes se sont multipliées partout dans le centre et en périphérie servant de matière première pour dresser des baricades et foutre le feu. Si ce mouvement a tenu dans le temps c’est grâce à tous ceux qui se sont mobilisés et ont continué à faire grève régulièrement. Même si une grève perlée ne sert à rien et que les manifs syndicales (même avec des « têtes de cortèges » et affrontements avec la police) ne donnent pas de profondeur au mouvement.

II. Et la rue elle est à qui ?

Dans la même dynamique que les grèves, les manifs se cantonnent à l’encadrement habituel en plus mou et si on regarde un peu plus loin, vers la défaite de la contestation. Au fil du mouvement, d’autres cortèges plus offensifs se sont distingués des cortèges syndicaux et de leur service d’ordre. Malgré le grossissement de ces cortèges, nous sommes tous limités à des questions tactiques dans la manif faute d’une stratégie collective, d’objectifs communs et à cause d’une répression féroce.

La rue est le dernier espace spectacularisé où l’on peut se rassembler par milliers, un lieu d’affrontements et de casse en tout genre sans pour autant offrir de possibilités d’intervention. Pourquoi à autant de personnes on est encore restreints à l’attaque des forces de l’ordre et au ciblage de «grand ennemis» capitalistes par la casse ? Attaquer 18 fois la même vitrine d’une agence immobilière, au-delà du kif et de la thune que cela coûterait, nous offre l’image désolante de notre impuissance à empêcher cette agence de tourner.

Quelques manifs sauvages de nuits auront permis de sortir des sentiers battus, en vivant un moment collectif, des gens ravitaillant de matos de chantiers, de bouffe, d’autres pillants quelques magasins et en redistribuant les marchandises, pendant que les caméras étaient attaquées, les badauds participant à ces débuts d’émeutes bien vite éteints. Chaque moment où quelque chose émerge est rattrapé par la morne réalité : l’échec collectif de tout dépassement.

Au milieu de ce joyeux bordel, chaque tendance politique est conviée à lancer sa pierre à l’édifice et ce quel que soit son niveau de conflictualité vis-à-vis de l’Etat ou du Capital. Force est de constater que la tendance démocrate fut la plus présente et s’est laissée aller à quelques actions radicales de temps en temps pour posticher sa détermination. L’assemblée de la maison du peuple à Rennes fut un exemple presque caricatural de cette volonté de mobiliser la gauche dans son ensemble, de faire vivre enfin l’idée fumeuse d’une convergence des luttes. On peut y retrouver pêle-mêle des syndicalistes, des partis de gauches, des groupes d’extrême-gauche et l’ensemble des personnes qui cherchent à s’intégrer à ce peuple de gauche, pour au final en être que sa main d’oeuvre.

A l’ordre du jour, un agenda de mobilisation, véritable salon autogéré où chacun vient faire sa réclame, sa météo intérieure sur la dernière journée de mobilisation et avec un peu de chance une ou deux propositions d’action dont les objectifs ne seront jamais abordés. Chaque proposition politique étant renvoyée dans une commission spécifique pour éviter toute discussion collective, bref des AG de militants déjà organisés, désertées par la majorité des gens en lutte. Le mouvement contre la réforme des retraites se termine comme il avait commencé, sans fard, et ne laissera pas une trace impérissable sauf pour ceux dont c’est le premier mouvement.

Un mois après la fin des manifestation, début juillet Nahel est tué par la police, les appels à la révolte sont relayés sur snapchat. S’ensuivent quelques nuits d’émeutes, pillages, incendies comme une trainée de poudre, des cités de Nanterre jusqu’aux petites villes de campagnes. L’attaque spontanée contre les symboles de l’Etat est intense. De nombreux commerces sont attaqués et vidés. Quelques actions dans des centre-villes sont organisées, une volonté d’être rejoints et de se répandre dans les villes se fait ressentir. L’Etat et les médias appellent au calme et à la délation, menacent les familles. Les flics et l’armée sont envoyés en nombre et c’est une répression hardcore qui stoppe le mouvement et quasiment tous ceux qui sont venus faire acte de présence au mouvement des retraites ne se sont pas engouffrés dans la révolte quand l’Etat a tué un gamin pauvre. Malgré sa résonance dans tout le pays, la révolte s’éteint rapidement de n’être pas rejointe.

III. Perspectives et rupture

En faisant le bilan de ce mouvement quelques mois après, nous avons l’impression que l’on en parle déjà plus. Pourtant, malgré les limites que nous avons essayé de montrer dans ce texte, des pratiques intéressantes ont pu y naître. Le capital organise l’amnésie collective, profitant de l’état de survie permanent dans lequel nous sommes plongés. C’est donc face à ces amers constats qu’il est nécessaire pour nous, de garder une trace écrite de ces mouvements, de transmettre une mémoire des luttes pour que l’on puisse échanger ensemble sur une stratége collective pour s’attaquer à la bourgeoisie. Nous avons besoin de multiplier des espaces rejoignables dans lesquels on puisse lutter au travail et en dehors, de renforcer la solidarité de classe entre exploités. Encore faudrait-il que les alliances avec la gauche du capital cessent ! C’était finalement bien là toute la limite de ce mouvement. Ce ne sera pas une classe ouvrière fantasmée qui seule ira à l’assaut du ciel car le prolétariat est morcelé, éclaté. Ce ne sera pas la gauche qui vend un capitalisme Woke et une exploitation qui respecte l’identité de chacun. Ce ne sera pas tous ces bureaucrates de la lutte quelque soit leur teinte d’avant-gardisme, qui n’ont pour objectif que de nous diriger. Enfin, ce ne sera pas non plus les alternativistes voulant réinventer l’argent, le travail, ou encore le rapport au corps, à base de solutions farfelues.

Face au durcissement de l’Etat dans l’enchaînement, l’intensité des réformes et dans le niveau répressif qu’il pose pour les défendre, ce mouvement inopérant n’a pas réussi à dépasser ses contradictions. Une réforme des retraites dont la plupart des jeunes pauvres ne verront pas la couleur. Qui critique l’allongement du temps de travail du bout des lèvres, sans aller jusqu’à formuler une critique du travail ou même énoncer les problèmes de l’attaque généralisée sur les salaires. Au-delà de la question de la retraite, il n’y a pas eu ou peu de mots d’ordres et de luttes élargissant aux prix des transports, du logement, de la santé ou de la bouffe hors de prix ! Nous n’avons pas vu de formes de luttes autonomes dans le mouvement qui partent du travail, posant la critique de l’exploitation ou d’un refus collectif du taf. Au contraire le discours général du mouvement reposait sur la défense des conditions des travailleurs dans le capital à travers des journées de grève sporadiques sans réelle attaque directe ou blocage de la production. La perspective de bloquer réellement l’économie n’a jamais été posée par l’ensemble des grévistes. Nous étions tout de même des dizaines de milliers en grève sans pour autant réussir à réfléchir à des formes de sabotages du travail ou un refus de la discipline vis-à-vis de nos chefs. Et pourtant les grèves ont peu compté durant le mouvement pour permettre une réelle offensivité – à la limite les quelques secteurs économiques stratégiques tels que l’énergie et le transport ont pu gratter deux trois sous. A la limite, on a été prêt à refuser une journée de travail si les syndicats étaient là pour nous protéger. Il n’y avait pourtant rien à attendre d’eux et de leur stratégie de négociation avec leur grande proposition d’un appel à la grève un jour toutes les deux semaines dont le gouvernement n’avait rien à battre. Il n’y a pas eu de rupture du consensus social qui repose sur la possibilité de conserver des services publics efficients et justes (santé, éducation, système de retraite) dans le capital, en échange d’une exploitation accrue. Le gros du salariat a été acheté lors des accords d’entreprise mené par les syndicats avant le mouvement en négociant une maigre augmentation des salaires pour compenser l’inflation, liquidant à l’avance toute velleité de conflit à l’intérieur des boîtes. La seule expression offensive qu’il reste alors à ces mouvements est de tenir la rue et de s’affronter aux forces de l’ordre en brûlant superficiellement ce qu’on peut trouver sur notre passage.

Pourtant ce mouvement orchestré par les syndicats – comme énième chant du cygne des luttes défensives – peut augurer autre chose. Considérant les énormes cortèges hors syndicats rejoints par de nombreux grévistes, notamment du privé, l’adhésion aux pratiques d’attaques de symboles du capital et la désertion des assemblées gauchisantes; ce mouvement a dépassé de manière éphémère et à quelques endroits le cadre déjà tout tracé de ce qu’il aurait dû être. Le démocratisme larvé qui traverse la lutte des classes – que l’on retrouve particulièrement dans les mouvements de gauche – est un frein aux mouvements. Nous devons le combattre dans les luttes, en faisant exister la rupture qui se pose dans la classe lorsqu’elle décide, par ses pratiques, de s’autonomiser des partis politiques ou des syndicats. Des composantes du mouvement social semblent cependant bien conscientes que cette stratégie est illusoire, sans en avoir d’autres à proposer ou à expérimenter. Le citoyennisme va-t-il enfin entamer son déclin? Qui croit encore aux promesses de la bourgeoisie d’une vie meilleure pour les travailleurs ?

En bref, nous affirmons que ce mouvement aussi massif en nombre de manifestants soit-il, était dans le fond, particulièrement sclérosé en termes de perspective révolutionnaire, car restreint à un dialogue avec l’Etat (même radical) et coincé dans des enjeux éléctoralistes ou de secteur. Pourtant des temps forts de la lutte des classes en France, on pense notamment aux Gilets Jaunes en 2019 et aux émeutes pour Nahel, un long mouvement et une révolte de quelques jours qui portent un tel niveau d’intensité, d’organisation et de refus de médiation qu’ils tranchent radicalement avec la période précédente.

Ces deux moments de la lutte en 2023 nous questionnent parce qu’ils sont complètement différents : dans leur rapport à l’Etat, dans leurs modes d’organisation, dans leurs mot d’ordres et leurs cibles, dans la diffusion des pratiques et des idées, dans l’identification à la lutte, dans le niveau d’intensité du conflit, dans les moyens mis en place pour le réprimer ou encore dans son élargissement.
Alors comment participer à la contagion ? Comment rendre effectives les initiatives ? Comment transformer la lutte réellement ? Comment appuyer l’autonomisation de la classe ? Comment cater une rupture entre le mouvement de l’encadrement, de la réforme du capitalisme et les autres dynamiques?

Les Gilets Jaunes refusaient la représentation et ont posé alors une rupture avec toutes les organisations qui défendent la démocratie et le compromis social et donc notre exploitation. Ils se battent pour tous les exploités. Les émeutiers des quartiers prolétaires s’attaquent à l’état et aux institutions qui nous excluent socialement et reproduisent notre aliénation. Durant le mouvement contre la réforme et puis les émeutes pour Nahel, les insurgés ont attaqué et pillé les commerces pour récupérer des marchandises auquelles nous n’avont pas acces et parfois les redistribuer. On a vu ressurgir des pratiques de classe qui renforcent et diffusent l’idée d’autonomie : lutte pour tous, refus immédiat des représentants, attaque des instances du pouvoir et de l’Etat, pillage et redistribution de la marchandise, blocage des flux, destruction des institutions, etc. Ces expériences, malgré les limites auquelles elles font face à terme, sont les prémices d’une lutte par tous et pour tous, qui remettrait en cause la société dans son ensemble et qui romperait avec les divisions que le capital nous impose.

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