Chronique antitravail – Ici on recycle les déchêts de la société
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J’ai fait deux saisons de travail pour Tribord, entreprise chargée de la gestion des déchetteries dont Rennes Métropole est propriétaire. L’offre pop souvent sur pôle emploi, l’entreprise recrute sans cesse car il y a un turn-over infini d’une petite centaine d’agents. L’administration, elle, est composée de beaucoup de monde aussi : sous-chef relou qui passe ses nerfs sur toi, ancien agent plutot compréhensif, employés administratif, cadres, et j’en passe. Les gestionnaires sont pas plus que nous mais ils ont un certain rapport de force.

Quelques compétences valorisantes…

    La base du travail c'est l'accueil : recevoir les usagers, les informer, faire en sorte QU'ILS NE FASSENT PAS D'ERREURS, sachant que sur une déchetterie comme St Armel il y a une quarantaine de types de déchets qui vont à un endroit bien defini. Parce que le capitalisme vert 'a veut dire que tu vas devoir expliquer la différence entre le plastique dur et le plastic mou, quand bien même 'a finit dans le même incinérateur. 

    Mais tu vas également être chargé de bien d'autres missions, c'est à toi d'organiser la déchetterie à savoir contacter les boîtes de transport pour enlever les bennes, gérer les stocks de produits dangereux (peinture, aérosol, acide, base...). Si tu n'anticipes pas assez tu vas devoir refuser certains déchets des usagés, et c'est là que 'a se corse !

    On te demande d'être l'agent de nettoyage, tu dois cleaner le bureau, les vestiaires, les toilettes tout le temps. Il y a une demi journée par semaine réservée au ménage qui ne suffit pas car on te demande de faire les relevés de compteurs, de nettoyer les bouches d'égouts (à St Armel il doit y avoir quelque chose comme une vingtaine de bouches d'égouts...) ou encore ramasser des tonnes de gravats qui tombent à côté des bennes ; un collègue raconte qu'une fois il a fait 14 brouettes pour une benne... 

…à réutiliser dans pleins d’autres corps de métier

    On te demande aussi d'être le vigile de la déchetterie, et pas n'importe quel vigile, celui bien entraîné au délit de faciès. C'est pas une blague, pendant la formation on t'apprend vraiment à reconnaître les travailleurs du bâtiment au black avec leurs gueules de Roumains et leurs camions cassés, ou les récupérateurs avec leur gueules de manouches et leurs mains qui se baladent partout ou les jeunes qui font pas d'efforts et qui roulent vite sur le tarmac avec leur voiture de jeunes-là.
    Ce qui se cache derrière ca c'est un contrôle affûté de la fraude en tout genre. Tu te retrouves à protéger ces marchandises, en étaut entre les intérets des patrons et les gens qui veulent récupérer des trucs. Du coup si t'es pointilleux, ou juste que tu veux pas te faire niquer par les chefs, tu te retrouves à gérer des situations réèllement compliquées. Des travailleurs informels tentent de te la mettre à l'envers et toi tu prends des risques d'embrouilles, tout ca pour un bien maigre butin.

Et si les chefs passent autant de temps et dépensent autant d’énergie à bien faire appliquer ce contrôle, c’est bien parce qu’il y a des affaires de thunes derrière… Si les déchêts ne sont pas triés correctement en amont dans les déchêt’ et les livraisons assurées, c’est toute une économie de marchandisation des ordures qui déraille après. De là il y a un enjeu à détenir l’obtention des marchés de récupération de déchets pour contrôler l’ensemble de la chaîne, de l’extraction à la production. C’est le business pas si récent de groupes comme Suez, Veolia, Paprec pour ne citer que les plus connus.

Les travailleurs en insertion, les fameux déchets que la société revalorise, avant de voir si ils sont incinérables ou pas

Les agents d’accueil recrutés par Tribord le sont quasiment tous dans le cadre de l’insertion. Tu as le droit à ce statut si t’es pas bien inseré (jeunes chômeurs, vieux baroudeurs, travailleurs immigrés…). L’idée est de faire des bilans réguliers sur ta situation pro et sur ta survie. Un point pour voir où tu en ai du taf, du logement, des papiers ou de ta santé. Tu signes des CDDInsertion de plus ou moins 4 mois, renouvelables deux ans max.
Sur le papier le contrat est plutôt  » alléchant » quand t’es pas diplômé, que tu sors de cure ou que tu refais quelques trimestres à 65ans pour pallier ta retraite misérable. On te promet 1000 euros environ pour 30 heures/semaine sachant que t’en fait en réalité souvent plus. Il y a une pénurie organisée de main-d’œuvre et tu te retrouves à souvent accepter de les dépanner pour pouvoir rester en bon terme et être repris.

Comme les autres taffs, toute sa vie ou presque est consacrée au travail et à la survie (appart, courses, bus, travail, bus, permis, manger, dodo) auquels on ajoute des rdv insertion et autres formations comme si ca ne suffisait pas. Les décheteries étant assez exentrées de la ville, un 30h payé pour une semaine s’apparente à un 40h de taf effectif (transport, pause de 2H le midi, retard à la fermeture).

Lutte, grève du zèle, illégalisme, syndicats et traîtres

Il y a parfois des grèves dans les déchetteries, pour des meilleures conditions de taff en général, pas beaucoup à Rennes. J’ai quand même entendu parler d’une grève du zèle vers 2017 ou 2018, pour des salaires impayés depuis longtemps car un comptable s’était barré de la boîte. Les collègues pointaient et ouvraient la déchet’ mais ne faisaient rien. Ils étaient payés tandis que tribord et rennes métropole se prenaient des pressions car beaucoup de bennes n’étaient pas recevables. Visiblement les agents ont récupéré leur thunes assez vite après ca. On parlait de jusqu’à six mois de retard pour certains.

Plus récemment un collègue raconte qu’il est payé seulement après quelques mois de retards, en étalé, genre un peu d’argent toutes les deux semaines!…
Il y a quelques syndicalistes dans Tribord, surtout dans les bureaux, qui font le travail à minima de syndicalistes à savoir représenter certains collègues à certains moments, sans vraiment discuter des conditions de travail avec les agents. Il y pas eu d’appel à la grève lors des journées appelées par les syndicats lors du mouvement de l’hiver 2023, aucune tentative de rejoindre le mouvement ne s’est opérée alors que les éboueurs étaient bloqués.

Il y a surtout une lutte un peu permanente, pour améliorer le travail en soi, afin de le rendre plus efficace pour nous (ce qui rend le taf encore plus dangereux à des moments). Les agents cultivent le savoir « d’en faire le moins possible  » et cela passe des fois par des sortes de sabotage, non pas des outils ou des marchandises mais des taches logistiques et de la gestion qu’on nous demande de réaliser.

Il y a beaucoup de liens entre les agents et on se croise très fréquemment en ville, on s’appelle, on vient même se voir à la déchet’ sur les jours de repos. C’est une force de ouf car on est toujours au courant des nouvelles réorga qui nous tombe dessus, ou si il y eu des problèmes entre la direction et un collègue, ou encore se refiler des tips et infos sur le taf.

Ces liens entre tous les collègues et cette organisation  » clando  » contrastent énormément avec la désorganisation totale et le manque de perspectives collectives. Les situations de vie desquelles on vient sont tout autant complexes que misérables et cela crée beaucoup d’impossibilitées pour s’ograniser contre les gestionnaires. On est tous coincés entre le maintient de notre survie et le taf, mais malgré ca la solidarité de classe persiste.

No war but trash war

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