Chronique antitravail – Bienvenue au royaume de la sape
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J’ai le plus beau travail du monde
On me demande sans cesse mon avis, les gens se déshabillent devant moi, je vois passer des centaines de billets entre mes mains, on me répète à l’envi que je suis charmante. Je passe ma semaine dans une caverne d’alibaba, entourée d’étoffes venues de pays lointains, on y parle plein de langues,
je vis au milieu d’un spectacle permanent. Ici c’est le Bolshoï, on tournoie, on chantonne, on décore, ennivrées par l’énergie des tubes du moment.

J’ai le plus vieux métier du monde
D’après nos amis les psychologues, il serait absolument indispensable pour chaque petite fille de jouer « à la vendeuse » afin de les aider à développer au plus vite une habilité à contrôler, leurs émotions, leurs corps, à se rendre serviables, désirables et à te convaincre que cette marchandise est destinée à améliorer ton existence. Toute cette abondance, les spots de la marque qui tournent en boucle dans les oreilles, les néons aveuglants à perte de vue, rien n’est laissé au hasard dans ce piège cognitif.

Fast fashion
Une vendeuse est embauchée pour son physique, son style, son bagout. Nous sommes les mille visages qui rendent humaine toute l’exploitation qui fait que tu peux choper une robe naze pour quelques dizaines d’euros et que ça soit une expérience agréable pour toi. Chaque sourire, chaque approche, chaque phrase répétée sans cesse, c’est pour remplir un peu plus les poches du patron. On nous embauche, on nous essore et on nous jette comme ce que l’on vend. Turn ovaires, c’est la loi du secteur.

Le travail nous transforme-t-il en connasses?
La concurrence fait rage, nous sommes des prédatrices chassant le client sur un terrain conquis et découpé par zone. Tu entres dans la boutiques, notre oeil de lynx te jauge en quelques secondes, calcule la taille de ta kichta, tes faiblesses et comment te ferrer. Dès qu’à lieu le « eye contact », tu es foutue. Tu es entrée dans le temple et nous sommes les 40 voleuses. Tu vas claquer un demi-salaire pour une paire ou juste bien plus que tu n’avais prévu.

Le client est roi
Et il est détesté par ses valets. Ce qui nous rassemble c’est la haine du client. N’importe quel client.
Il y a 2 côtés à la caisse et on est visiblement pas du même. Mère débordée en guenilles ou bourgeoise qui collectionne les tailleurs, tu restes un porte-monnaie sur pattes dont le passage dans notre monde deviendra une anecdote entre collègues. La caméra te voit mettre ces choses dans ton sac. On te traque jusque dans les cabines, on te poucave au vigile et on ira jusqu’à te sauter dessus si par malchance tu fais sonner le portique.

On doit t’humilier car tu dois respecter notre travail et te soumettre à la cruelle loi de la valeur.
Rien n’est gratuit et même si tu voles, tu restes une cliente. Et je reste une poupée qui alterne entre deux modes : gueule d’enterrement saoulée et sourire d’ange d’où s’échappe une voix mielleuse. Je n’ai qu’une suele chose en tête : comment sapper ce monde de merde?

Vivement que je sois remplacée par une caisse automatique.

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