Parce qu’on n’est propriétaire de rien, on est obligé tous les mois de donner de l’argent pour avoir le droit de vivre sous un toit : c’est le loyer. Le loyer, c’est en fait du salaire qu’on nous pique tous les mois, de la thune dont on ne verra jamais la couleur. C’est bien pour ça que la question du logement, dans l’économie capitaliste, a toujours été articulée avec celle du travail. Parce que nous sommes obligés pour survivre de travailler, nous sommes contraints d’habiter là où nous trouvons du travail. C’est ainsi que beaucoup d’entre nous, habitons proches des lieux de production ou des lieux de circulation de marchandises, c’est-à-dire dans les grandes villes, où les loyers sont, on le sait, particulièrement élevés.
Le loyer est d’ailleurs notre première dépense, première dans le mois, et première dans le montant. Au lieu de la foutre dans de la sappe, pour boire des coups ou pour partir en vacances, on file notre thune à un proprio qui a investi dans de la pierre comme il aurait pu investir dans des actions en bourse, des entreprises ou des chevaux de course. Le logement, ce n’est donc pas juste le fait de pouvoir habiter quelque part, c’est un moyen pour d’autres personnes – les propriétaires – de gagner de l’argent et de posséder toujours plus de choses, apparts, maisons ou autres. Comme toute chose dans ce monde du capital, le logement est une marchandise qui permet aux capitalistes fonciers de capter une partie de la plus-value produite.
En plus de devoir se tuer à la tâche pour payer des loyers déjà très chers, le système locataire/propriétaire alimente directement l’exploitation du prol, car pour faire du blé, l’investisseur essaie de faire fructifier son bien et donc inévitablement d’augmenter le prix du loyer. Le capitalisme ne fonctionnerait pas aujourd’hui sans système de location et sans faciliter toujours un peu plus l’accession à la propriété, à grands renforts de crédits à taux bas. Le propriétaire en louant participe inévitablement à l’escalade immobilière, l’embourgeoisement de quartiers anciennement populaires et l’éviction des locataires qui n’ont plus les moyens de payer. Le propriétaire bailleur est donc structurellement opposé au locataire parce qu’il défendra toujours d’abord ses propres intérêts. Face à cet antagonisme, on n’a d’autre choix que de pousser à s’organiser et attaquer collectivement les responsables de ce petit jeu qui nous met tous dans la merde : proprios, agences immobilières, promoteurs, organismes HLM, banques. On ne fait pas que se défendre, on attaque et on a les crocs !
La situation exceptionnelle du confinement fait que beaucoup de personnes ne pourront pas payer leur loyer, faute d’avoir du taff. Mais de toute façon, la plupart galérait déjà à lâcher les thunes au début du mois. On vit actuellement une période inédite du capitalisme. Mais pour nous, les fins de mois étaient déjà compliquées et surtout, plus dure sera la chute : demain ce ne seront plus juste les saisonniers ou les intérimaires qui n’arriveront pas à payer leur loyer mais bien une bonne partie des exploités. L’État a beau prolonger la durée des allocations chômages, donner des miettes à certains intérimaires ou geler les factures, quand y a plus de taff y a plus de taff, donc plus de moyen de payer ses dépenses du mois, loyer en tête. L’état et les capitalistes gèrent la crise, leur seul but est de faire perdurer le système selon leurs propres intérêts. Toutes les mesures économiques prises vont dans ce sens, avec comme résultat la dégradation de nos conditions de vies et de nos conditions de travail.
Il nous sera dès lors encore plus difficile de nous battre contre nos conditions d’exploitation, les patrons profitant de la situation en exacerbant la concurrence entre prols, en baissant nos salaires, en augmentant nos cadences et en ayant toujours la possibilité de nous virer si on l’ouvre trop. Trop souvent dans les luttes passées, la question du logement a été posée comme une question spécifique dans le mouvement social, comme si elle était déconnectée de notre exploitation quotidienne. Le logement, avant d’être un enjeu de réflexion sur la gentrification ou la modification esthétique de nos lieux de vie, c’est de la thune qu’on lâche tous les mois. C’est pourquoi le logement ne saurait être une lutte séparée : la grève des loyers intègre la question du logement à celle du travail, de l’exploitation de classe et finalement du mouvement social. On ne réclame pas une accession à la propriété, un « cadre de vie » plus tranquille et « revitalisé » dans notre quartier, on se bat pour nos conditions matérielles et celles-ci découlent nécessairement du travail et par conséquent du rapport de force que nous sommes capables de poser en tant que classe. On n’a rien à attendre des augmentations d’APL, de l’aménagement de loyers à bas coût, de nouvelles lois, des garde-fous immobiliers ou de la justice; on ne négocie rien, on va juste arrêter de payer.
La grève des loyers, c’est classe!
Nous parlerons ici de la grève des loyers et des factures comme faisant référence à une pratique anticapitaliste et collective d’un groupe de personnes visant à imposer un prix inférieur pour un produit ou un service jusqu’à ce qu’il soit gratuit. L’autoréduction comprend diverses formes de non-paiement de biens ou de services. Elle peut résulter d’un refus de payer une augmentation de loyers ou des services publics tels que l’électricité, le gaz ou l’eau. Elle peut être menée dans le but de redistribuer des biens à ceux qui en ont besoin. Par exemple en se livrant collectivement à des vols à l’étalage, en évitant de payer les factures, les transports en commun ou les billets de cinéma.
Parce que tant qu’il y aura de l’argent, il n’y en aura pas pour tout le monde, chercher à imposer la gratuité pourrait être un enjeu majeur des luttes au-delà de permettre de construire un rapport de force direct avec la bourgeoisie. En tapant là où ça fait mal, au portefeuille, elle nous permet d’améliorer directement nos conditions de vie en réduisant la part de notre salaire dédiée à notre reproduction. Parce que pour vivre en tant que prol, être en forme pour aller produire, on a besoin d’un logement, le loyer s’impose à nous, confisquant chaque mois de manière automatique une large part de notre salaire sans quoi on se retrouve à la rue et en mauvaise santé. Imposer collectivement la gratuité, c’est refuser cette escroquerie des capitalistes et poser en acte la perspective communiste.
« Les biens que nous avons pris sont à nous, comme est notre tout ce qui existe parce que nous avons participé à sa production et à sa vente. » Extrait tirée de la brochure « Autoréductions italiennes 1970 ».
Supposons que nous travaillons en tant que que caissier ou caissière dans un supermarché, notre force de travail que nous vendons aux patrons nous rapporte un salaire, soit dit en passant minable. C’est ce salaire qui va nous permettre, si nous sommes suffisamment rémunérés, de pouvoir nous nourrir, nous habiller, payer un loyer, téléphoner, aller à l’école et à nos activités sportives, nous soigner, payer le carburant, l’alcool et les somnifères dont nous avons besoin pour être capable d’aller travailler le lendemain matin. La logique est donc imparable et profite toujours aux mêmes. Il s’agit d’une double peine, celle de se faire exploiter au travail et de devoir ensuite reproduire notre force de travail en achetant ou louant aux capitalistes les biens que nous avons produits.
Dans l’histoire des luttes, l’apparition des grèves de loyers et des factures était due à un changement brutal des prix des biens de consommation ou du prix des loyers, comme par exemple à Barcelone en 1931 avec une grève massive des locataires mais aussi plus récemment au Chili lorsque de nombreuses personnes ont refusé l’augmentation des prix à répétition des tickets de métro à Santiago du Chili. La réaction ne s’est pas fait attendre, des attaques contre presque l’intégralité des 164 stations ont eu lieu, pendant lesquelles des barrières et des tourniquets ont été détruits. C’est un vent de colère qui s’est alors propagé avec pour conséquence de nombreuses manifestation partout dans le pays virant très rapidement à des émeutes généralisées.
Depuis de nombreuses années, des associations de « droit au logement » ont décidé de cogérer la situation avec l’état en défendant la voie réformiste légaliste ainsi que la coopération/négociation active avec les autorités locales (mairie, police, préfecture) lors de réquisitions. Loin de porter un mouvement offensif à la hauteur de la situation (15 000 expulsions locatives selon la fondation Abbé Pierre) ou de remettre en cause réellement le système immobilier capitaliste et la propriété privée, ces associations participent à la gestion de la misère sociale, de la nôtre en tant qu’exploités. La grève des loyers est une nécessité pour beaucoup de personnes isolées, il suffit d’aller au tribunal pour s’en rendre compte. La période de confinement va accélérer la détérioration des conditions de vie des prolétaires, il est donc plus qu’essentiel de nous organiser pour rendre la grève des loyers effective et produire un rapport de force conséquent face aux marchands de sommeil en tout genre.
Face à une potentielle grève des loyers, l’état a réaffirmé, par l’intermédiaire de la ministre du logement, qu’il est hors de question de déclarer un gel des loyers comme cela a été décidé partiellement à Lisbonne par exemple, rassurant les craintes des agences immobilières et des capitalistes propriétaires. Pour l’instant, les seules miettes lâchées à des prolétaires c’est une mesure de gel des prix des logements CROUS pour les étudiants, jusqu’à la fin de l’année scolaire… Il nous faut trouver des moyens collectifs pour combattre l’état et le capital tout en cherchant des solutions qui ne sont pas dans le code civil, ce dernier ayant dans ses fonctions principales la défense de la propriété. La répression ne sera pas une fatalité, c’est justement en affirmant nos positions politiques, notre nombre et notre détermination collective dans la lutte que nous pourrons la dépasser.
Extrait tiré de la brochure “Barcelone 1931 – Grève massive des loyers” : “Finalement, la grève commença à être brisée par la pratique policière qui consistait à arrêter les gens expulsés qui avaient réoccupé leurs habitations avec l’aide de leur voisinage. En novembre, le niveau d’activité de la grève avait notablement diminué. Mais la grève des loyers continuait dans une certaine mesure sous une forme clandestine, avec des incidents et des conflits occasionnels avec les propriétaires.
En décembre, le gouvernement local, contrôlé par l’Esquerra, répondit à la grève des loyers en adoptant une loi qui autorisait les locataires à porter réclamation pour « loyer injuste » − une loi qui s’avéra être inapplicable et largement inutile pour les locataires ouvriers. Dans de nombreuses parties de la ville, les propriétaires avaient été contraints de chercher un arrangement avec leurs locataires, acceptant de réduire les loyers plutôt que d’envisager la perspective de ne pas avoir de revenus pendant une longue période. Ou bien pour apaiser le conflit, le propriétaire acceptait simplement d’oublier les loyers impayés durant la période de la grève. Le résultat fut que de nombreux locataires ressentirent qu’ils avaient au moins gagné quelque chose par la grève. »
Les grèves de loyers et des factures permettent la construction d’un rapport de force contre les capitalistes. Elles ont aussi pour conséquencesde démystifier l’état qui est présenté comme “médiateur” dans la prestation de services aux citoyens. Elle mettent le doigt sur la nature de classe de l’état et ses administrations territoriales tout en concrétisant le lien qui existe entre le salaire et nos conditions de vie.
Le capitalisme et ses contradictions : petits propriétaires et prolétaires
Quand on parle aujourd’hui de grève des loyers, on se prend généralement la remarque suivante dans la gueule : « Mes proprios ce sont aussi des travailleurs qui ont trimé pour acheter leur baraque, donc hors de question que j’arrête de payer mon loyer ! » A partir de là, il semble essentiel de clarifier un peu la relation entre les travailleurs et la propriété privée.
Tout d’abord il est évident que tous les travailleurs ne sont pas locataires de leur logement. En France, mais également dans d’autres pays comme les USA, les politiques publiques ont, depuis plusieurs décennies, favorisé l’accès à la propriété privée dans le but de faire rentrer les travailleurs dans la logique capitaliste et de créer l’illusion d’une classe moyenne séparée du reste du prolétariat. C’est notamment vrai lorsque l’on regarde les myriades de banlieues pavillonnaires en périphérie des villes, ou encore à la campagne où l’on est généralement propriétaire de sa baraque même si ça implique de s’endetter sur 20 ou 30 piges. Ce travailleur-propriétaire on le connaît tous, c’est l’image parfaite du citoyen qu’on nous vend depuis 50 ans au JT de 20h. C’est ce citoyen modèle qui, par ses efforts acharnés, contredirait en acte la lutte des classes.
Pour les gouvernements, protecteurs de la propriété privée et de l’économie capitaliste, ces politiques permettent de transformer le « petit ouvrier en petit spéculateur ». La maison n’est plus juste un abri, un lieu de confort et d’intimité, mais également un investissement qu’il s’agit de faire fructifier : on achète une baraque en espérant qu’elle prendra de la valeur, pour nous ou pour nos enfants. On y fait des travaux, on construit une extension, pour notre confort bien sûr mais également en gardant en tête que si un jour on voudra revendre la baraque elle vaudra alors plus cher. Pour les gouvernements et les capitalistes, ce processus d’individualisation permet de mettre à mal les logiques collectives et les luttes des travailleurs, comme les grèves des loyers par exemple.
D’un autre côté il faut également bien comprendre la raison qui pousse le travailleur à accéder à la propriété. Les capitalistes, les patrons notamment, ont besoin pour pouvoir générer du profit d’avoir face à eux des travailleurs ne possédant rien, si ce n’est leur force de travail. Dans ces conditions, posséder sa maison représente une forme de sécurité dans le système capitaliste, on se dit alors que « si je perds mon emploi, au moins j’aurais un toit » ou encore que « au moins on laissera quelque chose aux enfants ». On se dit également qu’on se fera moins enfler car même si on paie l’équivalent d’un loyer en remboursant le crédit tous les mois, au moins la baraque sera à nous à la fin. Accéder à la propriété apparaît alors comme une solution individuelle à la spoliation qu’on subit sur notre salaire en tant que locataire.
Néanmoins le propriétaire n’en restera pas moins un travailleur, il devra toujours se lever le matin pour aller au taff afin de vendre sa force de travail car il aura un crédit à rembourser, des taxes, la bouffe et la cantine des gosses à payer, etc. Endetté parfois sur plusieurs décennies, il sera alors à la merci de la banque à laquelle il devra rembourser son crédit tous les mois mais aussi de son employeur, ne pouvant plus se permettre de quitter son taff. Lors des crises financières, les prols ayant investi dans une baraque n’arrivent plus à rembourser leur crédit et sont parmi les premiers à morfler. Et bien entendu, tout le reste du prolétariat morfle par la suite. L’exemple de la crise dite des subprimes en 2008 est révélateur. Derrière le mythe d’une société de propriétaires, cette crise est venue rappeler, des USA à l’Espagne en passant par la Grèce, à des millions de prolétaires alors expulsés de leurs maisons hypothéquées qu’il n’en était rien.
Toutefois, on ne parle depuis tout à l’heure, que des travailleurs qui achètent leur baraque ou leur appart pour eux-mêmes, pour leur confort, leur sécurité, et celle de leur enfants, s’ils en ont. Il ne s’agit pas de la même chose que de louer le bien que l’on vient d’acheter afin de générer du bénéfice sur le dos d’un autre travailleur. Là, on rentre véritablement dans une logique capitaliste et le rapport devient problématique. Lorsque l’on est locataire d’un logement on cherche toujours à payer le moins possible, on n’a pas envie de voir la moitié de notre salaire disparaître d’un coup tous les 1er ou 5 du mois afin d’acheter le droit d’avoir un toit pour le mois à venir. De l’autre, le propriétaire, même s’il s’agit également d’un travailleur qui carbure à coup de SMIC tous les mois, cherchera à tirer le plus d’argent possible du bien qu’il nous loue.
Il s’agit ici d’une contradiction qui n’est pas déconnectée de celle qui existe entre le patron et le salarié (même si la location d’un bien n’implique pas l’exploitation du locataire). En effet, le patron, d’un côté, cherche à maximiser ses profits et donc tend à payer le moins possible ses salariés, de l’autre le salarié cherche à avoir le meilleur salaire possible. Le locataire, quant à lui, cherche à avoir le loyer le moins cher possible, tandis que le propriétaire cherche à faire payer le plus possible.
De ce point de vue, le logement apparaît comme étant un terrain de lutte du salaire réel, car la hausse du loyer implique une baisse du salaire réel. Aussi « cool » un proprio soit-il, et qu’importe qu’il s’agisse d’un ouvrier « qui en a chié toute sa vie pour payer sa baraque », si le quartier où se situe sa propriété prend de la valeur et le prix du terrain monte en flèche, ce dernier finira par augmenter le prix du loyer. Si le locataire ne peut pas payer, il sera invité à dégager et trouver un logement ailleurs et sera bientôt remplacé par un cadre sup avec un salaire plus conséquent. Aussi « cool » soit un proprio, il s’agira toujours d’un petit bailleur faisant du bénéfice sur notre dos et venant nous prendre une partie de notre salaire, si ce n’est la plus grosse.
De toutes manières « cool » ou « pas cool », là n’est pas la question. Il ne s’agit pas d’attaquer les propriétaires car il n’y a pas de bon ou de mauvais propriétaire, comme il n’y a pas de bon ou de mauvais patron. Il s’agit ici d’attaquer la propriété privée en elle-même. Ce qui ne nous empêche pas de vouloir mettre des tartes à des proprios qui s’engraissent sur notre dos en nous entassant dans des immeubles pourris ou en augmentant les loyers dès que notre quartier prend de la valeur sur le marché immobilier. Pourtant ce n’est pas ainsi que nous arriverons à bout de la propriété privée et de l’exploitation. Abolissons le salariat et la propriété pour que plus personne n’ait besoin d’avoir à payer pour avoir un toit au-dessus de sa tête.
Locataires de tous les pays…
Ironie du sort, la crise qui s’annonce sera aussi une crise du logement. L’immobilier étant toujours l’un des premiers secteurs à prendre l’eau : les prols n’arrivent plus à rembourser leurs crédits, les banques explosent car surendettées, les investisseurs flippent en retour, l’état s’endette lui-même pour sauver les banques etc... Ce sera aussi une autre crise du logement, dans le sens où les locataires n’auront tout simplement plus de thunes pour payer leurs loyers, mettant dans le mal proprios, agences immobilières, bailleurs. A cette crise annoncée du capitalisme, la grève du loyer fait une proposition simple et radicale : on refuse de payer parce qu’on refuse de payer les pots cassés d’un système qui nous exploite et qu’au moins cette fois on préférera bouffer nous-mêmes avant de payer la nourriture à nos proprios.
On vient d’en parler, faire la grève des loyers, ça impliquera de résoudre ce conflit propriétaires/locataires et de démonter la fable autour des “petits proprios”. Mais le gros du taff politique va surtout être de s’organiser et de mettre en pratique concrètement la grève qui s’annonce… Car si l’isolement du prol au travail est déjà énorme, il atteint dans le monde du logement des niveaux affolants. Diversité des configurations de propriétaires (agences, bailleurs sociaux, propriétaires individuels), étalement urbain accompagné d’une hausse des prix du transport (on est loin les uns des autres donc désorganisés), structures répressives du quotidien (syndics de copros, voisins vigilants, flics de proximité), on est d’abord isolé par l’endroit où on crèche dans la ville d’aujourd’hui. Et cela complique l’organisation de classe. Cet isolement structurel se double d’un isolement par des détails qui mis bout à bout forment des vrais repoussoirs à une organisation collective : mésententes entre colocataires, bails solidaires, garants, cautions, non-présence sur un bail. Souvent on ne choisit pas vraiment son logement, on fait plutôt comme on peut et on prend ce qu’il y a, en prenant tout ce qu’il y a avec.
La grève des loyers fait une proposition claire : le rapport de force n’est pas seulement à construire dans la rue, au taff ou dans les lieux de formation mais par extension aussi là où l’on vit ; dans son immeuble, dans sa barre, dans son quartier résidentiel. C’est là où la bataille va se jouer. Dans cet espace qui permet la reproduction de la force de travail mais aussi terrain de jeu des promoteurs et autres investisseurs, mettant méchamment la pression sur nos salaires en spéculant sur la valeur foncière de nos lieux de vie. Le voisin du 2ème ne luttait pas forcément jusque-là, il ne va juste plus avoir le choix à partir de maintenant. Ça paraît toujours un peu lointain en France mais c’est déjà la réalité en Angleterre, en Espagne, aux States ou au Québec : qui là-bas peut encore s’affirmer être tranquille le 1er du mois quand vient le traditionnel SMS du proprio ? Pas d’illusion : beaucoup de nos voisins ne sont pas nos alliés et n’entreront jamais dans un rapport conflictuel avec les proprios. Simplement, des solidarités de classe sont à créer, des alliances à inventer ! L’enquête militante, la cartographie critique, la propagande sur son pallier ou depuis sa fenêtre sont les outils à (ré)utiliser pour mener à bien cette grève des loyers.
Mais si le rapport de force, sur le terrain du logement et de la propriété privée, est à construire à l’échelle de son quartier, voire même de sa barre d’immeuble, il ne faut pas néanmoins le réduire à ce seul cadre. Au final, c’est toujours la question du travail et de l’exploitation qui sont en jeu lorsque l’on parle de payer ou non son loyer. Le quartier peut-être un point de départ de la lutte mais ne devrait jamais être une finalité en soi. Il ne s’agit pas tant ici de créer un syndicat de locataires, de gérer momentanément la “crise”, que d’organiser une véritable autodéfense de classe et de développer des outils nous permettant de lutter plus efficacement contre le capital, que ce soit dans nos quartiers, au taff et dans tous les aspects de notre vie. La grève des loyers est donc un moyen d’action parmi d’autres et une étape pour poser les bases d’une vraie solidarité de classe offensive, que ce soit en faisant des actions d’autoréduction, en se défendant face aux huissiers et aux proprios, en luttant collectivement face à son patron, en élargissant la lutte partout pour détruire la propriété.
Note: Ce texte vise à parler des rapports locataire/propriétaire, et n’aborde pas l’ensemble des situations que peuvent vivre les prolétaires, nous nous pencherons dans un prochain texte sur la question de la petite propriété, du crédit, etc..
Malgré les difficultés dûes au confinement, et les problèmes d’organisation que cela engendre, nous présisons que ce texte a été écrit avec des camarades de Marseille et Toulouse. N’hésitez pas à nous contacter si vous êtes intéressés par la perspective d’une grève des loyers massive dans le grand ouest !
grevedesloyersgrandouest@riseup.net
A$AP Revolution