Chroniques du Corona #4

« On est tous dans le même bateau »

Une partie importante de mes revenus dépend de vacations dans l’événementiel notamment de missions d’hôtesse d’accueil, d’animatrice commerciale, etc. Depuis le 13 mars, toutes mes missions ont été annulées jusqu’à fin avril soit 7 en tout. Une seule de ces missions est indemnisée. J’ai perdu au moins 600 euros de revenus pour le seul mois de mars.

Comme sans doute de nombreux autres collègues, je me suis retrouvée confrontée à plusieurs positions d’employeurs qui semblent surtout révéler à chaque fois le degré d’importance que tu as ou non dans leur boîte. Il semble que dans les boîtes où tu es employé régulièrement et où tu es un peu moins interchangeable, on va s’intéresser un peu plus à ton sort histoire de te retrouver disponible et fidèle en sortie de crise. On te proposera par exemple des attestations assedic pour demander une allocation chômage. Dans le cas où on peut te remplacer sans soucis, et bien, des responsables n’hésiteront pas t’envoyer chier parfois violemment quand tu leur demanderas si tu peux bénéficier d’indemnités ou même de justificatifs d’annulation de missions. En demandant justement un pauvre justificatif d’annulation et en expliquant que c’était pour l’utiliser éventuellement pour mon propriétaire ou la CAF, une responsable d’agence m’a ainsi répondu que 1) aucun contrat n’avait été signé, 2) elle était en télétravail donc elle ne pouvait me transmettre aucun document. Le plus intéressant sans doute a été son discours comme quoi « on est tous dans le même bateau, on est tous au chômage partiel ». Ça tombe bien car contrairement à elle, je ne touche pas de chômage partiel avec la boîte, je touche rien en fait. Je suis tombée du bateau en cours de route et la seule réponse en tentant de monter sur un pauvre canot de sauvetage, c’est un bon coup de rame dans la gueule. Surtout, nous n’avons jamais navigué sur le même bateau ou alors pas dans la même cabine. Une responsable d’une autre agence me sortira également ce type de discours assorti d’une humiliation sur le faible nombre d’heures concernées lors d’un message vocal bien énervé de 3 minutes dont l’idée est : comment peut-on oser pigner pour 50€? Pourtant, eux, ils font tout leur possible pour ne pas les payer. Et depuis quand, 50€ c’est rien du tout ? Un peu plus de mépris pour ces gens qui font leurs petites missions. Apparemment, on fait ça pour le plaisir.

Si l’argument du contrat non signé revient facilement, c’est que les vacations comme souvent les missions en intérim, c’est le paradis des contrats de dernière minute pour faire de nous des variables d’ajustement encore plus attractives et se protéger des indemnisations. Dans la branche des vacataires de l’événementiel, on commence à pouvoir être indemnisé lors d’une annulation de contrat à partir de 7 jours avant la date de début de la mission. Annuler avant ce délai ou ne pas avoir de contrat signé permet aux employeurs de nous jeter dès que nécessaire sans contrepartie. Avant la crise du corona, on connaissait déjà bien les annulations de dernière minute sans compensation qui te mettent dans la merde. Sauf que là, tenter de retrouver une mission à l’arrache pour rattraper, c’est presque impossible.

Alors comme ça, si on n’a pas de contrat signé, c’est foutu ? Pas tout à fait. Une avocate en droit du travail me parle de la possibilité de faire valoir une « promesse unilatérale d’embauche » c’est-à-dire chercher dans les mails/SMS échangés avec l’employeur si des informations y sont (employeur, date de début de la mission, rémunération prévue, etc.). Sauf qu’apparemment, même si tu as déjà la chance de trouver un écrit avec toutes ces informations (surtout la rémunération prévue, assez rare au final), il faudra sûrement partir dans un bras de fer avec les employeurs récalcitrants en acceptant de ne pas se faire reprendre lors du report de la mission voire de se faire tout simplement blacklister ou encore d’attendre pas mal de temps pour que ça marche quitte à aller jusqu’aux prud’hommes. C’est à ce moment là qu’on réalise encore plus notre atomisation en tant que travailleur dans ce genre de secteur. Aucun contact avec les autres vacataires pour s’organiser collectivement et faire front. Sans compter la peur de se faire rayer de la liste des bons travailleurs et n’être plus jamais rappelé. La prise de risques reste pour le moment individuelle et c’est notre plus grande faiblesse qui nous explose à la gueule dans ce genre de situations. Pour une mission, nous sommes près de 20 à avoir perdu 400€ de revenus chacun pour avril mais nous ne nous connaissons pas. Il faut se rechercher sur facebook, essayer de se convaincre en ligne, etc. Le confinement qui limite une rencontre physique compliquant encore plus notre organisation collective.

Au-delà du secteur de l’événementiel, j’ai entendu des histoires d’autres vacataires qui se font aussi lâcher du secteur de la culture aux services administratifs : annulation des vacations sans indemnisation, non renouvellement du CDD, etc. Dans tous les cas ou presque, on nous dit que dès que ça repart, on reviendra nous chercher. Et tout ce petit monde doit attendre sagement que la tempête passe sur des radeaux de fortune tandis que nos employeurs restent tranquillement abrités au port avec toutes les aides de l’État dont on on ne verra au final pas une miette. Les vacataires traités comme une variable d’ajustement, ça se passe bien dans toutes les boîtes qu’elles soient privées ou publiques, si on avait besoin de la crise du coronavirus comme énième piqûre de rappel, c’est fait.

Au bilan, la seule indemnisation obtenue est due à un ratage de l’entreprise qui a voulu maintenir la mission malgré l’approche imminente du confinement. On aura ainsi travaillé une journée avant annulation de la mission. Ce qui explique que douiller tout le monde devenait sans doute trop acrobatique. D’autre part sur cette mission, il semble que les responsables terrain sont aussi payés à la mission d’où une tendance à demander une indemnisation au-delà des seuls employés vacataires de base.

Une des grandes questions est alors celle-ci : que deviennent ceux qui ont eu zéro indemnisation ou alors d’un montant insuffisant pour gérer les mois qui viennent ? Et ceux qui n’ont pas droit au chômage ou alors à des allocations trop faibles ? La réponse que nos employeurs nous font passer est la suivante : c’est comme ça, démerdez-vous et rendez-vous à la sortie bien dociles comme d’habitude. Même genre de réponses avec les proprios et agences immobilières pour les galères de loyer d’ailleurs. La réalité derrière le beau discours de la « solidarité nationale » mais bon, rien de nouveau sous le capitalisme.

Ce que je retire de cette expérience, c’est ce problème récurrent de ne pas avoir l’habitude ou pas assez d’avoir des espaces d’organisation entre vacataires et donc de ne guère pouvoir se défendre ensemble face aux employeurs. C’est un problème quotidien qui ne fait que s’aggraver lors de situations comme cette épidémie et la crise économique qui va bientôt nous péter à la gueule.

Faisons en sorte de prendre nos contacts, créons des groupes en ligne pour nous capter quand il y a des problèmes, ne nous laissons plus seuls à devoir faire des calculs entre se défendre individuellement en risquant d’être blacklisté ou accepter encore la douille.

Rassemblons nos radeaux de merde pour passer à l’abordage ensemble et peut-être qu’un jour, nous serons tous sur le même bateau sans état major pour nous donner des ordres. Et quitte à faire, on prendra les meilleurs bateaux, ça nous changera.